Les araignées qui hantent nos maisons sont généralement grises ou brunes comme un froc de moine; plusieurs sont hirsutes et portent, comme unique ornement, quelques soies acérées. Mais toutes leurs congénères ne leur ressemblent pas: au voisinage des villes et des villages, on en rencontre qui sont de teinte claire, bleu pâle comme des fleurs ou vertes comme l’herbe des prairies ou le feuillage des buissons qu’elles fréquentent.
Elles sont habituellement craintives et manquent de cette confiance qui nous ravit chez la plupart des scarabées, ce qu’expliquent d’ailleurs leur caractère taciturne et réservé et leur humeur rébarbative. La manière dont elles étalent, autour du corps, leurs jambes toujours prêtes à sauter et à ravir une proie, provoque l’inquiétude et leur vie de recluses capricieuses éveille la méfiance chez leurs voisins plus innocents. Et c’est avec raison, car ce sont de redoutables carnassiers ; par leurs fortes mâchoires en forme de pinces, elles sécrètent un venin particulier et l’injectent dans le corps de leurs victimes. Vaillantes à l’attaque, pleines de bravoure dans la défense, elles se montrent impitoyables vis-à-vis du vaincu. Il n’en faut pas davantage pour les rendre antipathiques aux esprits timorés. Alors même que la Bible les qualifie de «prudentes parmi les sages», les araignées ne nous paraissent admirables que par l’ingéniosité et la hardiesse de leurs constructions. Les toiles qu’elles tissent, vrais chefs-d’œuvre de géométrie sa vante, leur valent une place à part parmi les architectes de la Création.
C’est au moment où les premiers étourneaux nous visitent, quand les «taconnets» émaillent les prés humides de leurs capitules dorés, que nombre d’araignées quittent leur retraite hivernale. Mais, ces messagères ne sont justement pas d’habiles tisseuses ; elles vivent sur le sol, entre les herbes desséchées et les feuilles mortes qui leur servent d’abri, ou bien se tiennent aux aguets, au pied des vieux arbres ou entre les touffes de mousse. Semblables aux chats, elles sautent sur leur proie, surprise par leur attaque brusquée, puis la sucent aussitôt qu’elles se sentent elles-mêmes en sûreté. Ces araignées-là sont des vagabondes ; contrairement aux sédentaires, elles ne construisent pas de toiles. On voit bien, il est vrai, certaines araignées brunes à taille de guêpe courir précipitamment sur les chemins en portant à l’arrière du corps un sac arrondi, tissé d’une soie jaune (image 1). Il ne s’agit pas là d’un filet de chasse, mais bien d’une sorte de cocon tissé de filaments ténus, sécrétés par des glandes filières, et dans lequel la femelle abrite ses oeufs, qu’elle porte toujours avec elle. Malheur à celui qui cherche à s’en emparer ; il se heurte à une défense désespérée.
Les tagénaires ou araignées domestiques, qu’on rencontre tant en plein air que dans les maisons, dans tous les recoins où elles ont quelque chance de ne pas être dérangées, sont des artisans d’un sens pratique avisé. Elles tissent non seulement pour abriter leurs oeufs, qu’elles déposent sous des pierres, des brindilles ou des feuilles, ou bien dans les fentes des murs, les haies ou les trous du sol ; elles confectionnent aussi des sortes de nids de formes variées (sac ou entonnoir), qui leur servent soit de logis ou de pavillon de chasse, soit simplement de résidence temporaire. Qui n’a heurté, près d’un vieux mur ou sur une souche d’arbre, la retraite d’une araignée tubulaire et jeté un regard distrait sur son filet tendu comme un rideau ? De ce filet, à l’aspect débonnaire, part un conduit aboutissant à une demeure moelleusement tapissée comme un palais (im. 2). Demeure mal famée, véritable charnier pour tous les scarabées et les mouches qui s’y engagent ; car ces couloirs argentés, constellés de brillantes gouttelettes de rosée, sont de véritables trappes. Ici, laissez toute espérance, pourrait-on dire aux insectes trop confiants, qui pénètrent imprudemment dans cet antre aux abords séduisants. On en dirait volontiers autant aux pauvres créatures assez irréfléchies pour s’aventurer dans le hamac de l’araignée domestique (im. 3) ou à celles qui se laisseraient tenter par les cocons, en forme de verre renversé, que l’araignée des champs construit dans le voisinage de sa demeure et qu’elle suspend, comme des lanternes vénitiennes, à la tige des herbes (im. 4). Ces cocons, tissés de pure soie, sont d’abord blancs et luisants ; plus tard, la femelle les mastique avec du limon, de manière à les rendre imperméables et plus résistants ; ils changent alors de forme et ressemblent plutôt à un fruit ovoïde, porté par une tige (im. 4, à droite). Un triste sort attend aussi les animalcules qui se risquent à l’entrée du nid, soigneusement tendu de soie, que tisse la mygale ou araignée tapissière (im. 5). Intrigués par le couvercle qui en protège l’ouverture contre l’humidité et les éboulis de sable qui pourraient l’obstruer, ces visiteurs imprévoyants sont brusquement attaqués, à peine entrés, par la maitresse du logis; blottie dans son couloir, elle se précipite sur les malheureux et les étrangle sur place.
Les plus habiles parmi les araignées, celles dont on ne saurait trop admirer la savante ingéniosité, sont ces tisseuses de toile rayonnée que l’on nomme épeires ou araignées porte croix, à cause du dessin particulier qu’elles portent sur le dos (im. 6). Cette espèce se trouve partout aux abords des maisons. Sa toile élégante autant que délicate, admirable ment adaptée à l’endroit choisi comme lieu de chasse, semble prolonger dans l’espace, par son réseau de fines nervures, le sens tactile étonnamment développé de l’animal. On est émerveillé de voir quel art consommé préside à l’édification de cette grille aérienne, tissée de filaments ténus et pourtant capable de résister à tous les vents.
L’araignée vannière, espèce américaine, tisse, elle aussi, une toile rayonnée comme celle de l’épeire; mais, plus raffinée, elle y ajoute un tapis de pied finement travaillé et relié à la retraite de l’animal par une sorte d’escalier tour nant en zigzag (im. 7). L’araignée à queue, d’origine américaine également, orne la partie supérieure de sa toile de petits sacs en forme de perles d’un jaune mat, dans lesquels elle dépose ses oeufs (im. 8).
Dans le même but, la tisseuse de tente construit au moyen de feuilles, de fleurs, de paille, de brindilles et de terre une petite annexe en forme de tente, fixée à sa toile (im. 9), tandis que l’argiope vannière confectionne pour sa progéniture un berceau, sorte de vase tissé de fils dorés (im. 10). Une parente de cette dernière espèce cache ses œufs dans un gobelet à double paroi, ourlé d’un rebord festonné (im. 11). Mais c’est l’argyronète de nos étangs qui, à cet égard, bat tous les records (im. 12). Abritée dans une véritable cloche à plongeur remplie d’air, elle s’enfonce sous l’eau, fixe son cocon à œufs au sommet de la cloche, puis remonte à la surface pour respirer.
Comment les araignées arrivent-elles à une pareille maîtrise dans l’art des constructions ? Elles ne disposent pour tant d’aucune école technique et ne s’astreignent à aucun apprentissage. Leurs connaissances dans ce domaine sont instinctives ; elles les héritent avec la vie, les pratiquent inconsciemment et les transmettent intactes à leurs descendants.
par le Dr A. Koelsch, Rüschlikon (Adapté par le Dr P. Jaccard, professeur à Zurich.)
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