Comment on construit les ponts

Série 7
LES MERVEILLES DU MONDE – 1ère édition – Vol. 1 – 1929
Comment on construit les ponts

Tous les ponts répondent au même besoin : réunir deux points d’un chemin, séparés par un ravin plus ou moins profond ou par une rivière plus ou moins large. Les plus simples sont constitués par un tronc d’arbre ou une poutre, que l’on jette au travers d’un fossé ou d’une rivière ; telle est la forme primitive d’un art, porté depuis au plus haut point de perfectionnement. Si, au lieu d’une poutre, l’on en place deux l’une à côté de l’autre, en les recouvrant de planches, on obtient un chemin plus praticable. On peut aussi remplacer la ou les poutres par des dalles de pierre, comme pour l’antique pont de Tschang-tschou-fu da tant du XIe siècle (image 1), à l’heure actuelle presque entièrement détruit.

On ne saurait cependant, par ce moyen, franchir de très larges obstacles ; la flexibilité des poutres ou des dalles en limite la portée, soit la distance qui existe entre les supports. Avec des poutres en fer, on peut augmenter cette portée, il est vrai, sans toutefois dépasser sensiblement 20 m. Lorsque l’espace à franchir est considérable, il est donc nécessaire de recourir à une construction plus compliquée. Le schéma a du croquis montre un procédé relativement simple, qui consiste à soutenir le milieu du tablier par deux barres d’appui inclinées, solidement fixées sur les flancs du ravin ou les berges escarpées qu’il s’agit de relier. L’image a montre un pont moderne construit d’après ce principe ; d’une longueur de 204 m., il franchit l’Argentobel dans l’Allgäu bavarois.

Schéma ponts

Par un dispositif inverse, on obtient le pont correspondant au schéma b ; le tablier est ici renforcé par un système d’entretoises (tiges métalliques entrecroisées), qui empêchent ou réduisent au minimum sa déformation et grâce aux quelles la charge se trouve répartie également sur toute la longueur du tablier. L’image 3 nous donne l’exemple d’un pont de ce genre, qu’il ne faut pas confondre avec un pont suspendu.

Suivant la disposition des pièces maîtresses soutenant le tablier, on distingue les ponts à lon gerons et les ponts suspendus. Les premiers peuvent varier, comme mode de soutènement, et leur forme apparente ne permet pas au profane de distinguer, au premier coup d’œil, le principe appliqué à leur construction. Parmi eux, il y en a qui sont supportés par deux arcs parallèles (image 4).

Une forme particulière de pont à poutres droites est celle du pont en porte-à-faux (cantilever), grâce auquel on réalise de grandes portées d’une façon relativement simple. On voit sur le croquis (schéma c) le principe appliqué à ce genre de construction : les deux poutres A et B, étant solidement fixées au sol par l’une de leurs extrémités, surplombent sans se réunir le vide à franchir et supportent la poutre C. Les ponts en porte-à-faux étaient connus de plusieurs peuplades sauvages bien avant que le génie moderne les réalise en grand ; l’image 5 représente le type primitif d’un pont de ce genre. Son principe ne diffère pas essentiellement de celui qui a été appliqué lors de la construction de l’un des plus grands ponts de chemin de fer du monde, sur le Firth-of-Forth (près de Queensferry, en Ecosse); les travées centrales de ce pont ont chacune une portée de 521 m. La sustentation en porte-à-faux y est obtenue par un ensemble de pièces de fer, entrecroisées et solidement ancrées sur de puissantes tours métalliques, ainsi que le montre l’image 6.

Les ponts à arcs se distinguent essentiellement des ponts à longerons en ce que la charge exerce une poussée horizontale sur les points d’appui, ce dont on se rend compte par l’examen du schéma d. Toute charge ou pression agissant sur l’arche se transmet aux culées et c’est pourquoi cette forme de pont se recommande là où des berges rocheuses, etc., augmentent la résistance à la poussée horizontale. En l’absence de conditions naturelles favorables, il est toujours possible de construire des culées suffisamment solides pour y étayer un pont en arc. L’image 7 en représente un très ancien modèle, franchissant le Nistikis gansa (Japon) et s’appuyant sur cinq culées en maçonnerie. Bien que le même principe de construction soit à leur base, le contraste est saisissant entre ce pont et le magnifique pont en béton armé traversant le Gmündertobel, près de Stein (image 8), ou mieux encore celui de Müngsten (image 9) ; la travée centrale a 170 m. d’ouverture et enjambe, à 107 m. de hauteur, la profonde vallée de la Wupper.

Mais le record de la hardiesse est certainement détenu par les ponts suspendus ; là encore les peuples primitifs nous ont devancés. Telles sont les passerelles en lianes, fréquentes dans les pays chauds et dont l’image ro illustre un des types les plus simples.

En remplaçant la liane inférieure par une large passerelle et les deux lianes supérieures par deux câbles métalliques ou par des chaînes, on obtient un pont suspendu tel qu’on en voit encore beau coup en Europe. Les ponts ainsi construits présentent cependant certains dangers, à cause de la facilité avec laquelle ils se déforment et fléchissent inégalement sous la charge. En s’abaissant sur un point, ils se relèvent sur un autre; cela se traduit par des oscillations, qui amplifient l’effet de la charge et peuvent entraîner la rupture du pont. De semblables accidents se sont produits souvent ; pour les éviter, on a soin maintenant d’employer des entretoises ou des croisillons (schéma e). La charge agissant sur un point quelconque du tablier se répartit ainsi sur l’ensemble du pont, ce qui réduit son travail de flexion et augmente sa solidité. Grâce à ce perfectionnement, on arrive à construire actuellement des ponts suspendus dont la hardiesse fait l’admiration des ingénieurs eux-mêmes. L’image 11 montre un pont de ce genre, franchissant une gorge de 140 m. de largeur sur le rio Colorado (U. S. A.). Simple de ligne, souple et élégante comme une toile d’araignée, cette construction aérienne est fermement fixée au rocher ; elle enjambe d’un jet les rives escarpées au fond desquelles bouillonne, à une profondeur impressionnante, le fleuve qui, inlassablement, poursuit son affouillement millénaire.

En regard de cette légère construction, d’autres ponts suspendus étonnent par leurs dimensions géantes. Tel est celui que l’on construit actuellement au-dessus de la rivière Hudson, à New-York ; il créera une voie de 73 mètres de large sur 2220 mètres de longueur (image 12) et pourra être, à bon droit, considéré comme un triomphe de l’art des ingénieurs.

par Hanns Günther, Zürich