Plantes parasites

Série 7
LES MERVEILLES DU MONDE – 1ère édition – Vol. 1 – 1929
Plantes parasites

On considère volontiers les plantes comme des êtres essentiellement pacifiques, se nourrissant uniquement des substances du sol dans lequel elles sont enracinées et parfaitement incapables d’attenter à la vie des autres plantes, même lorsque la faim les tourmente et que la terre qu’elles occupent ne suffit plus à les nourrir.

Cette manière de voir, bien que juste d’une façon générale, ne s’applique cependant pas à toutes les plantes. Certains végétaux trouvent en effet plus commode de s’emparer des sucs nutritifs contenus dans la sève d’autres plantes, renonçant ainsi à utiliser leurs organes nourriciers naturels ; ces plantes-là se comportent en parasites vivant aux dépens d’autrui, comme le font, parmi les bêtes, les puces et les pu naises suçant le sang de l’homme et de divers animaux, ou encore les vers intestinaux vivant du suc de leur hôte sans toutefois provoquer la mort de celui-ci. Il en est d’autres il est vrai plus exigeants, qui, semblables à des rapaces, n’abandonnent leur victime qu’après l’avoir complètement épuisée. Sous des dehors pacifiques, ces parasites-là sont en réalité de dangereux déprédateurs poussant l’égoïsme et la cruauté jusqu’à provoquer la mort des espèces bénévoles qui les hébergent.

Ces êtres anormaux, tels des agneaux changés en loups, sont cependant assez rares dans le monde des plantes. Sur 120,000 plantes florifères dont on connaît le genre de vie et qui sont distribuées dans toutes les parties du globe, 1500 environ seulement, rompant avec les traditions en honneur dans le monde végétal, se sont engagées dans la voie honteuse du parasitisme. Elles conservent le plus souvent, d’ail leurs, des dehors affables masquant à leur entourage non pré venu leurs mœurs répréhensibles. Chose curieuse, ces plantes là appartiennent presque toutes à un petit nombre de familles, dont elles sont le triste apanage; six d’entre elles renferment à elles seules 80 des espèces plus ou moins parasites vivant en Europe. Nous en reproduisons ici quelques-unes, parmi les plus répandues et les plus curieuses; on peut les distinguer en demi-parasites plus ou moins inoffensifs et en parasites dangereux, provoquant le dépérissement ou la mort de leur hôte nourricier.

Comme nous le disions plus haut, la plupart des espèces parasites du premier groupe vivant dans notre pays ne se distinguent pas extérieurement des autres plantes; rien, à première vue, ne laisse supposer leur vice caché (images I à 5). Elles vivent mélangées aux graminées et aux herbes de la prairie, sont vertes comme elles, fleurissent et produisent des graines, puis meurent. Mais, dès qu’on examine leurs racines, on découvre leur véritable nature et l’on met à jour leur ruse et leur duplicité. Au lieu de se ramifier dans le sol comme l’innocente salade, dont le chevelu s’insinue entre les plus petites particules du terreau pour en absorber les aliments utiles, les plantes parasites se fixent fortement sur les racines des espèces voisines, dont on ne peut les détacher qu’avec force (image 7). En se servant d’une loupe, on re marque sur leurs radicelles de petites verrues, appliquées comme des suçoirs sur les racines de l’hôte ou bien enfoncées dans sa chair comme la trompe ou le stylet d’un mous tique aspirant le sang de sa proie. Les plantes ne renferment pourtant pas de sang, mais leurs racines et leur tige sont parcourues par un réseau de tubes conducteurs très étroits, sortes d’artères renfermant des sucs nourriciers élaborés dans les feuilles vertes grâce à la lumière et à la chaleur du soleil. C’est ce suc-là que pompent les parasites, s’épargnant ainsi la peine de le préparer eux-mêmes. Quel avantage y trouvent-ils ? Serait-ce la satis faction d’une paresse naturelle? En réalité, le profit qu’ils en retirent n’est guère apparent; extérieurement, ils perdent plus qu’ils ne gagnent: leurs racines sont moins vigoureuses et moins ramifiées, leurs feuilles le plus souvent moins ver tes; quant aux végétaux qui poussent le parasitisme jusqu’à la complète dépendance vis-à-vis de leur hôte, ils finissent par se décolorer ou du moins par changer de couleur pour prendre une teinte brune, jaune ou rougeâtre rappelant, dans certains cas, celle de plantes étiolées par manque de lumière. Pareil changement ne s’observe, il est vrai, pas chez l’euphraise (image 1), dont le parasitisme est en quelque sorte facultatif et qui peut y renoncer lorsqu’elle ne rencontre pas à temps une compagne bénévole prête à la sustenter. De même le cochriste (image 2), ainsi que dans une certaine mesure le mélampyre des champs (image 3) et la pédiculaire (image 5). Bien qu’elles puissent végéter seules un certain temps, ces dernières plantes n’arrivent pas à produire leurs fleurs sans le secours d’un hôte nourricier. A cet égard, le casque des Alpes ou bartchie (image 4) est encore plus étroitement parasite que les plantes précédentes; il meurt déjà dès le quatrième mois de sa germination, s’il n’a pas réussi à se fixer sur les racines d’une plante voisine capable de le nourrir.

D’ailleurs, seuls les parasites verts ou demi-parasites peuvent s’accommoder d’une dépendance temporaire ou facultative vis-à-vis de leur hôte ; les parasites dangereux, ceux qui ont perdu leurs organes verts, ne peuvent germer et se développer qu’au contact de la plante qui leur servira à la fois de support et de nourrice. C’est le cas pour la clandestine (images 6 et 7), laquelle ne prospère que fixée sur les racines de l’aulne, du peuplier, du noisetier ou, plus rare ment, de la vigne qu’elle affaiblit notablement. Il en est de même pour l’orobanche (images 8 et 9), qui cause souvent de grands dommages au trèfle ou à la luzerne, et pour la cuscute (image 10), dont les filaments pâles, jaunes ou rougeâtres enserrent la tige de nombreuses plantes (lin, houblon, trèfle), qu’ils font dépérir. Ces plantes-là portent sur elles le signe de Cain; tant leur port particulier que leurs feuilles plus ou moins avortées, d’un brun rougeâtre ou décolorées, les signalent à l’attention et trahissent leur vie dégradée. Un type particulier de parasite, parmi les plus populaires, nous est fourni par le gui (images 11 et 12), dont les bouquets verts s’installent sur les branches de la plupart de nos arbres, enfoncent dans le bois des suçoirs puissants et ramifiés et laissent après leur mort quantité de perforations ou de creux, telle la petite vérole sur la peau après guérison. Chez nous, c’est sur le peuplier, le pommier, le poirier, le pin que le gui se développe le plus souvent, mais presque toutes nos espèces d’arbres (saules, bouleaux, hêtres, etc.) sont capables de l’héberger à l’occasion.

par le Dr A. Koelsch, Rüschlikon (Adapté par le Dr P. Jaccard, professeur à Zurich.)