Lorsqu’on songe à ceux qui ont le plus contribué au progrès de l’humanité et au perfectionnement de ses conditions d’existence, on doit reconnaitre que la place d’honneur revient tout naturellement aux hommes qui, grâce à leurs recherches, ont accru notre savoir et à ceux qui, grâce à ce savoir, parvinrent à nous délivrer des travaux pénibles.
Assurément, il y eut de grands hommes d’Etat, qui améliorèrent le sort de leurs concitoyens par des lois empreintes de sagesse ; sans doute, des poètes comme Goethe, des compositeurs tels que Beethoven, des peintres comme Rembrandt, des sculpteurs tels que Michel-Ange, des philosophes comme Kant ont embelli la vie de plusieurs millions d’entre nous. Mais les créations de ces hommes profitèrent, pour la plupart, à une classe privilégiée ; pendant des siècles, jour après jour, le peuple dut gagner son pain à la sueur de son front, cela jusqu’au moment où la machine résultat pratique de patientes recherches vint remédier à la situation. Grâce à sa très forte capacité de production, la machine permet d’économiser un temps considérable et donne à l’esclave d’autrefois la possibilité de jouir, à son tour, des agréments de l’existence ; elle facilite la tâche de l’ouvrier, en effectuant elle-même tous les travaux pénibles qui incombaient jusqu’alors aux hommes.
Nous sommes, aujourd’hui encore, en plein dans l’immense révolution que la machine a provoquée dans notre façon de vivre ; c’est pourquoi nous n’apprécions pas à sa juste valeur le service que nous ont rendu les inventeurs des différentes machines actuellement utilisées. On ne saurait expliquer autrement le fait qu’une statue ait été érigée en l’honneur de chaque souverain qu’il l’ait méritée ou non et qu’un monument semblable ait été élevé en souvenir de nombreux généraux, hommes d’Etat, artistes, etc., alors que cette marque d’estime fut très rarement accordée à un savant ou à un inventeur.
Alexandre Volta (1745-1827), à qui nous devons les premières découvertes dans le domaine de l’électricité, est l’un des rares inventeurs dont un monument perpétue la mémoire. A Come, sa ville natale, on lui a construit une grande statue (image 1), qui le représente avec sa principale invention: la pile voltaïque.
Ce monument n’est d’ailleurs pas le seul qui ait été érigé en l’honneur des électriciens, cette catégorie d’inventeurs étant spécialement bien partagée sous ce rapport ; peut-être cela est-il dû à ce que l’électricité a profondément modifié et amélioré notre manière de vivre. A Berlin, l’Allemagne a élevé un monument en souvenir de Werner v. Siemens (1816 1892), l’inventeur de la machine dynamo-électrique et, de fait, le père de l’électrotechnique moderne (image 2). C’est au travail acharné de nombreux chercheurs que Siemens doit son invention ; dès le début du XIXe siècle, ils étudièrent les différentes manifestations de l’électricité et s’efforcèrent de découvrir leurs relations réciproques.
Le Danois Jean-Christian Oersted (1777-1851) fut, parmi eux, l’un des plus ingénieux ; il découvrit le premier l’électro magnétisme, dont l’importance est incommensurable. La capitale du Danemark Copenhague a construit un monument en son honneur dans le Parc Oersted; il représente l’inventeur démontrant l’action exercée par l’électricité sur l’aiguille aimantée (image 3).
Une autre grande découverte, dont personne n’ignore la valeur et qui a beaucoup d’analogie avec les inventions d’Oersted, c’est celle du téléphone ; le premier appareil fut construit en 1858 par Philippe Reis (1834-1874), un pauvre instituteur. Il démontra publiquement son invention en 1861, à Francfort s/M., mais ne sut pas se faire valoir et mourut peu après, presque inconnu et dans l’isolement. Récemment, toutefois, on a tenu à honorer sa mémoire au moyen d’un monument, qui a été élevé à Francfort s/M., non loin de l’en droit où Reis fit sa première démonstration (image 4).
De l’électricité à la radiotechnique, il n’y avait qu’un pas, qui fut franchi par Henri Hertz (1857-1894) ; il découvrit les ondes électriques, en étudiant les relations qui existent entre l’électricité et la lumière. Hertz posa ainsi les fondements d’un immense champ d’activité; il n’eut cependant pas la satisfaction d’assister à l’application de ses principes, car il mourut prématurément. La télégraphie et la téléphonie sans fil sont les principaux fruits de son labeur. L’école polytechnique de Carlsruhe, où il fit des recherches et enseigna même, de 1885 à 1889, a fait sculpter le buste de ce grand inventeur lors de la célébration du centenaire de l’établissement (image 5). De semblables marques d’estime sont très rares dans d’autres domaines de la technique. A Londres, dans l’Abbaye de Westminster, le lieu de repos des hommes éminents de la Grande-Bretagne, il existe un beau monument ; c’est celui de James Watt (1736-1819), qui construisit la première machine à vapeur vraiment utilisable et à qui l’Angleterre doit une bonne part de sa prospérité (image 6).
Mais l’inventeur proprement dit de la marmite à vapeur est un Français, Denis Papin (1647-1714)c; reconnaissant le premier la force élastique de la vapeur d’eau, il l’utilisa pour la construction d’un moteur. Une statue a été érigée à Paris pour immortaliser cet inventeur (image 7). Dans la capitale française, on peut voir aussi les monuments de Louis Daguerre (1789-1851), qui imagina le diorama et perfectionna la photographie (image 8) et de Claude Chappe (1763-1805), qui fit fonctionner pour la première fois, de Paris à Lille, le télégraphe optique aérien (1794) ; il peut être considéré comme le créateur de la télégraphie moderne, bien que le télégraphe électrique ait remplacé peu à peu son système plutôt primitif (image 9).
En France également, à Chaumont, il existe un monument construit en l’honneur du chimiste Philippe Lebon (1769-1804), l’un des fondateurs de l’industrie du gaz ; en 1786 déjà, il utilisait pour ses propres besoins du gaz d’éclairage et de chauffage obtenu d’après ses formules (image 10).. Un nom célèbre, en Allemagne, c’est celui de l’inventeur de la machine pneumatique, Otto de Guericke (1602-1686). Son monument se trouve à Magdebourg, sa ville natale, dont il fut le bourgmestre dans des temps difficiles (image 11).
L’image 12, enfin, montre le projet d’un monument que l’on se propose de construire pour symboliser la rapidité actuelle des transports et qui doit perpétuer le souvenir de l’ingénieur autrichien Siegfried Marcus (1831-1898). C’est lui qui, en 1864, fabriqua la première automobile avec moteur à essence, carburateur et allumage magnéto-électrique. Son invention suscita alors très peu d’intérêt ; mais son nom devint célèbre du moment où l’on exhiba cette voiture, lors de la grande exposition «Vienne et les Viennois». Les descendants de ceux qui, de son vivant, ne comprirent pas cet homme désirent maintenant honorer la mémoire de Siegfried Marcus. Peut-être se souviendra-t-on bientôt d’autres inventeurs encore, beaucoup trop de bienfaiteurs de l’humanité ayant subi le même sort que Marcus; méconnus, ils sont morts dans la pauvreté et l’isolement.
par Hanns Günther, Zurich