Insectes bizarres

Série 7
LES MERVEILLES DU MONDE – 1ère édition – Vol. 1 – 1929
Insectes bizarres

Dans le règne animal, c’est assurément le monde des insectes qui présente les formes les plus extraordinaires ; et souvent, lorsque nous cherchons à expliquer le but de telle ou telle particularité de leur constitution, nous nous trouvons devant une insoluble énigme. Parmi l’immense quantité d’espèces remarquables, nous en mentionnons ici douze qui se distinguent avant tout par la forme bizarre de leur corps et dont plusieurs sont sans doute inconnues à maint collectionneur.

L’image 1 représente un coléoptère du groupe des charançons, le Lithinus nigrocristatus de Madagascar, qui est à peu près gros comme notre hanneton. Les appendices pileux et les aspérités de formes diverses qui revêtent son corps le rendent si semblable au lichen Parmelia crinita sur lequel il vit, que l’œil le plus exercé arrive à peine à l’apercevoir. Le but de cette singulière conformation se dissimuler à la vue de ses ennemis apparait clairement ici. Sur l’image 2 se trouve reproduite la larve d’une des libellules les plus communes de nos contrées, la Libellula de pressa, qu’on rencontre dans presque tous les étangs. Elle se tient aplatie au fond de l’eau, recouvrant son corps de limon et de sable, de sorte que seuls ses yeux saillants ressortent de la vase. Immobile, c’est dans cette position qu’elle attend ses victimes. Malheur au têtard imprudent qui, en nageant, s’aventure trop près de la bête à l’affût ! Celle-ci a vite fait de détendre ses mandibules armées de dents, au repos pliées sous le corps, et de saisir brusquement sa proie.

Dans le groupe des papillons, c’est avant tout la légèreté des formes et la magnificence du coloris qui excitent l’admiration ; leurs ailes sont ornées des teintes les plus chatoyantes, que rehausse encore le moindre rayon de soleil. L’image 3 représente un papillon de l’Himalaya, l’Armandia lidderdahli ; par sa forme et le dessin de ses ailes, il diffère tellement de ses congénères qu’on le considère comme un représentant d’une époque disparue, auquel d’heureuses circonstances ont permis de se maintenir jusqu’à nos jours. Mais souvent, les chenilles de certains papillons paraissent plus extraordinaires encore, par exemple celle du Sphinx de la vigne (Deilephila elpenor) et celle de la Harpye du hêtre (Stauropus fagi) que nous montre l’image 4. Lorsque le hasard les fait se rencontrer, elles prennent immédiatement toutes deux la position de défense. La première enfle son corps, si bien que les taches de son cou ressortent comme des yeux menaçants, tandis que la seconde, à demi dressée, agite vivement ses pattes antérieures, minces et allongées comme celles des araignées. Faire peur, causer l’effroi est une règle générale dans la Nature : chacun cherche à en imposer aux autres, même s’il ne se trouve pas lui-même très à son aise (ex.: chat faisant le gros dos). L’image 5 représente l’énorme chenille de l’Eailes regalis ; brillamment colorée et munie de cornes d’un rouge ardent, les nègres de l’Amérique centrale la craignent davantage qu’un serpent venimeux, bien qu’elle soit tout à fait inoffensive. Parmi les mouches, nous ne trouvons pas de pareilles formes géantes, malgré que ce groupe compte d’assez grands représentants, par ex. la Laphria gibbosa (image 6). On peut l’observer dans les clairières, occupée à la chasse d’autres insectes plus petits, et reconnaître facilement les caractères de l’ordre auquel elle appartient: une trompe disposée pour sucer, puis deux ailes membraneuses en arrière desquelles se trouvent les deux haltères. Par contre, on n’aperçoit presque rien de ces caractères chez les Nycteribia, qui vivent en parasites dans la fourrure des chauves-souris. Ce groupe est représenté ici (image 7) par une espèce provenant de Ceylan. L’absence d’ailes, la forme des griffes terminant les pattes et l’aplatissement du corps sont une adaptation au mode de vie si spécial de ces insectes. Vu leurs griffes puissantes et leur corps aplati, il est presque impossible de les détacher de la peau de leur hôte, sur lequel ils se meuvent avec rapidité.

La trompe articulée, disposée pour piquer, est la caractéristique d’un autre ordre d’insectes auquel appartient la punaise des lits, de triste réputation. L’image 8 représente une punaise de l’ile Célèbes ; comme les autres insectes de ce groupe, elle a les ailes antérieures (cornées à leur base, mais membraneuses à leur extrémité) couchées horizontalement sur les postérieures, entièrement membraneuses. Cette espèce est remarquable par l’extraordinaire élargissement de son abdomen, rappelant un peu une poêle à frire. Le but de cette disposition est sans doute aussi de provoquer l’effroi. Tout autre est la minuscule punaise du genre Tingis (image 9), qui ressemble plutôt à une lanterne chinoise en papier qu’à un insecte. Ce n’est que sous le microscope qu’on peut admirer toute sa beauté et apercevoir son curieux appendice dorsal, semblable à un coquillage. Les cigales sont les proches parents des punaises et nombre d’entre elles revêtent les formes les plus curieuses. C’est ainsi que le Bocydium tintinnabuliferum (image 10) des tropiques, qui est plus petit qu’une mouche, se fait remarquer par un appendice dorsal vraiment extraordinaire, d’où son sobriquet de porte grelots. Cette bizarre conformation ne semble être vraiment qu’un jeu de la Nature.

Si l’on regarde l’image 11, qui représente deux espèces tropicales de Mantides en position de combat, on remarquera tout de suite les caractères de cet autre grand groupe d’insectes. On aperçoit nettement les armes terribles de ces mantes, appelées religieuses à cause de la position que prennent au repos leurs pattes antérieures ; en fait, elles ne méritent pas du tout ce nom. Avides de sang, ce sont de vrais tigres parmi les insectes; elles ne ménagent rien de ce qui tombe sous leurs puissantes pattes, qu’elles abattent d’un coup sec sur les pauvres victimes. – Citons en terminant un autre insecte parmi les plus bizarres, l’énorme Euryacanthus horridus des îles Salomon (image 12). Son nom latin signifie « horrible porteur de piquants ». De ses cuisses, armées d’éperons, il donne de forts coups pour éloigner ses ennemis. Malgré son aspect menaçant, il est tout à fait inoffensif, son régime étant essentiellement végétarien.

Bien que le nombre en soit minime, les exemples que nous venons de citer donnent une idée de la richesse de formes que renferme l’immense armée des insectes et montrent combien l’étude en est captivante. Ce groupe d’animaux, le plus important de tous, réunit dans son sein les êtres les plus divers ; on y trouve des espèces utiles à l’homme, d’autres qui sont pour lui de dangereux ennemis, on y rencontre des carnassiers féroces et d’inoffensifs végétariens; un grand nombre d’entre eux sont des chefs-d’œuvre, semés à profusion pour la joie de tous ceux qui savent lire dans ce livre merveilleux qu’est la Nature.

par le Prof. H. Morin, Zurich (Adapté par le Dr J. Roux, Bâle)