Chemins de fer de montagne

Série 7
LES MERVEILLES DU MONDE – 1ère édition – Vol. 1 – 1929
Chemins de fer de montagne

Il n’est guère surprenant que le constructeur du premier chemin de fer de montagne soit l’un de nos compatriotes, la Suisse étant un pays spécialement montagneux ; il est tout naturel que, justement chez nous, l’idée soit venue à quelqu’un, impérieuse, de faire la conquête de la montagne par le moyen des voies ferrées. C’est vers 1860, dans le cerveau de Nicolas Riggenbach que cette idée a germé pour la première fois, semble-t-il ; peu de temps après, on inaugurait en Autriche le chemin de fer du Semmering, la première grande voie de ce genre construite en Europe.

En ce temps-là, Riggenbach était mécanicien à la gare d’Olten. Comme tel, il construisit notamment les locomotives de la ligne du Hauenstein, qui facilita dès 1857 le trafic entre Bale et la Suisse centrale. La voie ferrée ne pouvant passer par-dessus la montagne, il fallut percer un tunnel long de 2 ½ km. Mais, la pente était malgré tout fort raide ; l’exploitation de la ligne ne pouvait se faire sans rencontrer parfois des difficultés : les roues motrices glissaient sur les rails, en dépit du sable répandu sur la voie. Cette constatation fit naître, dans le cerveau de Riggenbach, un projet qu’il ne devait pas abandonner avant sa réalisation : aider aux roues motrices à adhérer aux rails et triompher ainsi des rampes jusqu’alors trop raides, cela simplement grâce à un troisième rail, où viendraient s’engrener les dents d’une roue fixée à la locomotive.

Dix ans s’écoulèrent avant que Riggenbach pût réaliser son projet. En Suisse, «personne ne voulait tout d’abord s’intéresser à la chose», écrit-il dans ses mémoires. Les spécialistes tenaient l’idée de Riggenbach pour irréalisable, ce qui fut au début le sort de beaucoup d’autres grandes inventions. Il fallut une circonstance toute fortuite pour modifier la situation : le consul général de Suisse à Washington, Jean Hitz, visita les ateliers d’Olten à l’occasion d’un séjour qu’il fit dans notre pays. Des plans de chemins de fer, aperçus dans le bureau de Riggenbach, l’émerveillèrent à tel point qu’il se les fit expliquer en détail et comprit tout de suite le parti que l’on en pourrait tirer. « Construisez nous, dit-il à Riggenbach, un chemin de fer sur le Rigi. »

Ainsi fut fait. Avec l’appui du consul Hitz, le capital nécessaire fut bientôt constitué ; on parvint à vaincre toutes les autres difficultés qui se présentèrent et dont beaucoup étaient de nature technique. La construction de la voie ferrée fut entreprise à la fin de l’année 1869. Le 21 mai 1871 déjà, on inaugurait le parcours Vitznau-Rigi Kaltbad, où se trouvait alors le point terminus. L’image 1 montre la locomotive, plutôt grotesque, qui était alors en service, tandis que sur l’image 2 on voit le grand pont de Schnurtobel, avec l’une des voitures aujourd’hui utilisées.

Depuis cette époque, dans le monde entier, de très nombreux chemins de fer de montagne ont été construits ; quelques-uns le furent par Riggenbach lui-même, les autres par divers constructeurs, qui améliorèrent les premiers procédés et firent valoir de nouvelles idées. L’invention de Riggenbach se révélant inapplicable dès que la pente dépassait 30 % l- a roue dentée de la locomotive sortait de l’engrenage – Locher eut l’idée d’employer deux roues dentées horizontales, venant s’engrener entre les rails, à gauche et à droite d’une barre de fer également dentée (crémaillère). C’est d’après ce système que fut construit le chemin de fer du Pilate, dont la pente est par endroit de 48 %, soit le double de celle du Rigi. L’image 3 montre un parcours spécialement abrupt, celui de l’ Eselswand (Paroi de l’âne) sur les flancs du Pilate.

Aussitôt que l’inclinaison est plus accentuée, le chemin de fer à crémaillère ne peut être utilisé. Mais, le problème a été facilement résolu : entre les rails, sur des poulies, on a fait circuler un câble relié à un wagon, qui gravit ou descend la rampe à volonté. Habituellement, les funiculaires se composent de deux voitures, faisant contrepoids ; l’une descend, tandis que l’autre monte (image 4, funiculaire de Mürren). Le fonctionnement du câble se fait au moyen d’un moteur électrique, installé à l’une des stations terminus ; ou bien un récipient fixé sur le wagon descendant reçoit assez d’eau pour que, grâce à ce supplément de poids, la voiture montante puisse gravir la pente avec ses voyageurs. Arrivé au terme de sa course, le wagon descendant est vidé de son eau et le récipient de l’autre voiture est alors rempli.

Les funiculaires de ce genre conviennent surtout pour des petits parcours. Pour les longs trajets, on construit des chemins de fer aériens, qui permettent d’élever des wagons perpendiculairement, pour ainsi dire. Le funiculaire du Wet terhorn, par exemple, a beaucoup d’analogie avec un ascenseur (images 5 et 6). Par leur hardiesse, certains funiculaires rappellent des jeux que l’on fait dans la prime jeunesse ; il y en a de très vieux exemples, surtout au Japon, où la montagne est si crevassée qu’un tel moyen de transport est devenu indispensable. Si l’on en croit des documents dignes de foi, les funiculaires aériens seraient connus au Japon depuis 1500 ans au moins. Bien entendu, leur construction était alors très primitive, ainsi que le montre l’image 7; le voyageur prenait place dans une sorte de panier suspendu à un câble, auquel il se cramponnait des deux mains pour avancer.

De nos jours, la construction d’un funiculaire aérien s’opère différemment et l’on procède d’habitude comme suit : à une certaine altitude, dans la montagne, on place des mâts en fer ; l’on y fixe et immobilise un câble métallique très résistant, auquel sont suspendus deux wagons, en général, qui circulent le long du câble au moyen de poulies et sont reliés entre eux par un second câble. Celui-ci est mobile ; il appartient à l’une des stations terminus de le faire fonctionner et, par suite, de mettre en mouvement les voitures. D’après ce principe, l’on a construit la plupart des funiculaires aériens des temps modernes ; c’est notamment le cas près de Bolzano (image 8) et à la Zugspitze (image 9), un funiculaire tout récemment inauguré. Il en est de même pour le célèbre chemin de fer construit sur le pain de sucre, haut de 400 mètres seulement mais inaccessible, situé près de Rio-de-Janeiro (image 10), pour le funiculaire du Mont-Blanc (image 11) et, enfin, pour celui de Mkum bassa, au Cameroun (image 12), un chemin de fer servant exclusivement au transport du bois, mais dont la construction a été spécialement hardie et difficile.

par Hans Günther, Zurich