Chaque être vivant a son caractère propre, qui lui donne son individualité. Les plantes, elles aussi, manifestent leur caractère et cela souvent d’une façon beaucoup plus apparente que ne le fait l’homme, grâce à leur conformation particulière; tel est le cas des cactus. Par une contradiction à première vue paradoxale, ces curieux végétaux sont d’au tant plus charnus et succulents qu’ils habitent des contrées plus sèches. Leur physionomie étrange et la bizarrerie de leurs formes, dont plusieurs semblent nées de l’imagination dévoyée d’un architecte ultra-moderne, frappent d’autant plus l’attention qu’elles contrastent avec l’opulence incomparable des fleurs qui s’épanouissent sur leurs tiges disgracieuses, hérissées de piquants.
Personne n’hésite à reconnaître, au premier coup d’œil, la provenance étrangère des cactus. On ne les rencontre pas dans nos prairies ou dans nos forêts et pas davantage, en compagnie des rhododendrons, sur les pelouses de nos Alpes. Ils n’ont ni la grâce et la flexibilité de nos graminées, ni la sveltesse de nos céréales; rien ne les apparente à nos buissons au feuillage élégamment découpé, ni à nos arbres à la ramure imposante et savamment équilibrée. Leur structure rappelle plutôt celle de créations artificielles, semblables à certains cristaux et figées dans les limites étroites d’une géométrie rudimentaire. Les variations qu’ils présentent, malgré leur fantaisie ahurissante, trahissent néanmoins une certaine uniformité, qui leur est imposée par l’inéluctable nécessité où ils se trouvent de supprimer tout ornement pouvant donner prise au gel, à l’insolation excessive, ainsi qu’à la sécheresse qui les menacent. Ce sont des immigrés; leur patrie d’origine se trouve au cœur de l’Amérique, de part et d’autre de l’Equateur, tout spécialement dans les régions arides et sèches des hauts plateaux du Mexique, balayés en hiver par des vents glacés auxquels succède en été une chaleur torride. Ils se rencontrent aussi dans les régions montagneuses de la Cordillère américaine, s’avançant vers le nord jusqu’en Californie et vers le sud jusqu’en Patagonie. Dans ces vastes territoires, cette famille originale est représentée par près de 1500 espèces différentes.
Malgré leur grande diversité, toutes ces espèces appartiennent à un petit nombre de types caractéristiques. Les plus curieux sont les cierges géants ou cactus en colonnes, pouvant atteindre jusqu’à 20 mètres de hauteur. Ce sont des sortes d’obélisques dressant au-dessus du sol leurs tiges massives, pourvues de côtes épaisses que séparent des sillons obtus (image 1). Surgissant de place en place dans un paysage désertique et presque privé d’autre végétation, ils semblent être les restes de temples en ruine, les témoins d’un âge disparu. Leur croissance est extrêmement lente comparée avec celle des arbres de nos climats. Grâce à leur vitalité, on les utilise parfois comme barrière en bordure des chemins ou des champs cultivés (im. 5).
Un second type de cactus, c’est le cierge candélabre (im. 2), auquel s’apparente le cierge en tuyaux d’orgue (im. 3). Puis viennent les cactus à raquettes, dont les ramifications sont formées de palettes aplaties ou renflées, ovoides ou elliptiques, réunies les unes aux autres comme les anneaux d’une grosse chaîne le figuier de Barbarie (im. 6) ou bien rappelant plus ou moins par leur forme le mamillaire velu (im. 12) de gros concombres, des tonneaux ou des stalagmites, voire même le mamillaire globuleux (im. 7) des mitres d’évêques, des hérissons, des oursins, des pelotes d’épingles ou des têtes humaines. Quelques-uns en revanche de grandes dimensions; tel est le figuier de Barbarie, introduit dans le sud de l’Europe et surtout dans le nord de l’Afrique. Semblables à de gros buissons, ayant par fois la taille d’un arbre, puisqu’ils mesurent jusqu’à 4 m. de hauteur, ils forment des haies infranchissables grâce à l’enchevêtrement de leurs raquettes hérissées de piquants. Quant à certains cactus globuleux, par exemple le cactus hérisson géant (im. 4), ils possèdent un corps massif gorgé d’eau et pèsent jusqu’à 1000 kg.!
N’est-il pas étonnant de rencontrer, à côté de ces géants qui rivalisent de longévité avec nos vieux arbres, des for mes naines dont la durée est éphémère et dont les tiges minuscules passent presque inaperçues? Mais la Nature, dans sa prodigalité créatrice, nous ménage encore d’autres sur prises: comment supposer que les colonnes massives des cierges géants ou les tonneaux côtelés des cactus melons possèdent des proches parents à tiges flexibles et retombantes, ondulées comme le corps d’un serpent ou s’amincissant en forme de fouets, de cordes ou de larges rubans foliacés (im. 9) ? D’autres, chose inattendue, se comportent comme de véritables plantes grimpantes, s’agrippant au moyen de crochets acérés à des végétaux voisins, comme le font chez nous les ronces s’accrochant aux arbres et aux buissons qu’elles rencontrent.
En dépit de cette diversité déconcertante les cactus se révèlent tous membres d’une même famille. Chacun de ces membres, faisant de nécessité vertu, se montre frugal et parcimonieux. Les plus menacés pratiquent l’économie la plus âpre, durcissant leur épiderme qu’ils enduisent d’un vernis imperméable ou garnissent d’un épais duvet protecteur; ils réduisent ainsi au minimum leur transpiration. Rien, chez eux, n’est sacrifié à l’élégance; les ornements les plus légitimes, tels les rameaux délicats, le feuillage même, cette parure des arbrisseaux les plus humbles de nos climats, sont impitoyablement supprimés. C’est la tige qui, grâce à la substance verte distribuée dans toute sa longueur, doit subvenir à la respiration et à la nutrition aérienne du végétal. Renon cant à jouer un rôle de premier plan, les feuilles ainsi con damnées tiennent cependant à se rendre utiles; ce sont elles qui se transforment en crochets acérés, en épines et en aiguillons constituant, pour le végétal charnu et succulent qu’elles entourent, une carapace protectrice contre l’avidité des animaux assoiffés et désireux de s’approprier l’eau patiemment accumulée au cours des ans par ces citernes vivantes. Grâce à cette eau ainsi mise en réserve dans leurs tissus spongieux, les cactus conservent leur vitalité, alors que durant des mois leurs racines ne trouvent plus aucune humidité dans le sol.
Malgré l’inélégance de leur forme et la rudesse de leur abord, les cactus épanouissent le plus souvent des fleurs admirables (im. 8, 9, 10 et 11); tant par leurs couleurs variées et éclatantes que par la diversité et la grâce de leur corolle, elles sont capables de ravir les amateurs les plus raffinés. Les nombreuses espèces de cactus introduites chez nous à titre de curiosités ont trouvé des admirateurs passionnés et des éleveurs intelligents, grâce auxquels plusieurs de ces immigrés ont acquis chez nous droit de cité; tandis que certains d’entre eux, parmi les plus rustiques, égaient les fenêtres et les balcons des plus humbles demeures, que d’autres, rivalisant avec les orchidées, font l’orne ment de nos serres, d’heureux dilettantes mettent leur joie et leur fierté à s’entourer du plus grand nombre possible de ces curieux végétaux, qu’ils collectionnent avec passion.
par le Dr A. Koelsch, Rüschlikon (Adapté par le Dr P. Jaccard, professeur à Zurich)