Sauterelles et grillons

Série 6
LES MERVEILLES DU MONDE – 1ère édition – Vol. 1 – 1929

Sauterelles et grillons ! Qui ne connaît ces gracieux in sectes, sauteurs infatigables et musiciens charmants qui, pendant tout l’été et même jusqu’en automne, nous égaient de leur joyeuse compagnie? Ils furent de tout temps les amis des poètes, qui les ont célébrés et chantés dans leurs œuvres. – Il vaut la peine d’étudier d’un peu près cette horde remuante et d’examiner en détail quelques-uns de ses plus notables représentants. C’est pour l’œil une vraie joie, étant donné que beaucoup d’entre eux se parent de couleurs brillantes ; il en est d’autres cependant qui ne se font remarquer ni par la beauté de leur livrée, ni par leur don musical, mais tout simplement par la forme étrange de leur corps.

Voyez par exemple le Bacillus rossi (image 1); voilà un insecte qui ressemble singulièrement à un petit morceau de bois vert! La forme bizarre de son corps lui a valu ce nom de bacille, qui signifie bâtonnet. Tandis que tous ses congénères sont pourvus d’ailes leur permettant de s’élever dans l’air, il en est réduit à déambuler paresseusement, sur ses longues pattes minces, entre les arbustes et les broussailles. Il atteint environ 10 centimètres de long et se reproduit facile ment. Dans le Midi, on le trouve ici et là sur les cistes, mais on peut aisément aussi l’élever en captivité.

Les images suivantes se rapportent à divers représentants du groupe des sauterelles dont les ailes postérieures sont parées de vives couleurs. Cependant, rien n’apparaît de ce superbe coloris lorsque l’insecte est au repos, car il replie ses ailes postérieures sous celles de devant, qui sont vertes ou brunes. Mais au moindre saut, il déploie soudain au soleil le brillant éventail de ses ailes, causant toujours l’admiration du spectateur surpris. Examinons tout d’abord le Psophus stridulus (im. 2), qui est aussi un habile musicien. En même temps qu’elle étale ses ailes rouges pour un court voyage aérien, cette sauterelle fait entendre un bruit strident, que l’on perçoit d’assez loin et qui n’est produit que par les ailes postérieures de l’insecte. L’Oedipoda miniata (im. 3) et la Bryodema tuberculata (im. 4) sont aussi parées de rouge. Chez la première, l’aile postérieure est bordée d’un large ru ban noir, tandis que chez la seconde la base rosée de l’aile s’entoure d’un arc brun, qui va en s’élargissant vers l’extérieur. L’Oedipode fait aussi entendre un bruissement en s’élevant dans l’air; mais il est moins fort que la stridulation produite par le Psophus et assez semblable au froissement d’un papier dans la main. L’Oedipode le fait du reste entendre également au repos, en frottant sa cuisse contre l’une des nervures de l’aile. La Bryodema est un insecte assez rare. Aviatrice consommée, elle peut se soutenir dans l’air pendant plusieurs minutes. Dans son vol, aux ondulations variées, elle élève et abaisse ses ailes, en rythme régulier ainsi que l’oiseau; son bruit strident se perçoit de loin, comme celui du Psophus. Après les ailes rouges, voici les bleues : le Sphingonotus coerulans (im. s) et l’Oedipoda coerulescens (im. 6). Bien que ces espèces ne se livrent pas à d’intrépides voltiges ou à de brillantes productions musicales, elles retiennent l’attention de l’observateur par la seule beauté de leurs ailes, d’une teinte bleue très délicate. Elles affectionnent les terrains sablonneux et chauds, les carrières exposées aux ardeurs du soleil. Ces insectes sont, par leur couleur, si bien adaptés à leur entourage que l’oeil le plus exercé arrive à les apercevoir seulement lorsque, se déplaçant d’un bond, ils déploient soudain les splendeurs cachées de leurs ailes. Dans les contrées méridionales, parmi les gazons secs et ras, on trouve une sauterelle dont les ailes postérieures, d’un vert clair, sont divisées en deux parties inégales par une bande foncée. Elle appartient au groupe des criquets et son nom latin est Pachytylus nigrofasciatus (im. 7). Pendant les jours chauds de l’été, on peut la voir, en grandes colonies, dans les terrains rocheux situés près d’Ausserberg, sur la ligne du Loetschberg. Son proche parent est représenté par l’image 8, c’est le Criquet voyageur (Pachytylus migrato rius). A part sa tête couleur vert-de-gris et ses pattes postérieures de teinte jaune, cette espèce n’a aucun coloris spécial; elle peut atteindre 4 ou 5 centimètres de longueur. Dans les siècles passés, elle était fréquemment la terreur des populations de l’Europe, quand ses hordes innombrables, émigrant des steppes de la Mer Noire et de la Mer Caspienne, venaient s’abattre sur l’Autriche, l’Allemagne et la Suisse. Elles dévastaient et dévoraient les cultures au point d’amener de graves famines. On peut, aujourd’hui encore, rencontrer de petites colonies de ce criquet près de Schaffhouse, en Silésie septentrionale et dans les pays rhénans. En Suisse, le fléau des sauterelles semble avoir cessé dès le XIVe siècle, tandis que, de nos jours encore, de sérieux ravages sont fréquemment produits par le Criquet pèlerin dans diverses régions d’Afrique ou d’Asie.

L’image 9 représente un insecte remarquable par son instinct carnassier. C’est la Saga (Saga serrata), qui peut atteindre 7 centimètres de longueur et ne possède que des rudiments d’ailes. A part une ligne blanche de chaque côté du corps, la Saga est entièrement verte. Elle se pose dans les gazons, tenant ses pattes antérieures prêtes à saisir le premier insecte qui tenterait d’approcher. On rencontre la Saga en Istrie et en Croatie. Notre sauterelle verte (Locusta viridissima) est bien connue de tous (im. 10). Plus petite, mais plus élégante que la Saga, elle possède des ailes bien développées, aptes au vol. Sa couleur verte la protège admirablement dans le gazon ou parmi le feuillage. Le mâle est un chanteur infatigable. Mais un chanteur encore plus tenace, c’est notre grillon champêtre (im. 11). Il n’est pas vêtu de brillants atours, car le brun et le noir sont les teintes de son corps. Posé à l’entrée de son petit terrier, il fait retentir, au cours des longues journées de l’été, son cri ininterrompu, en frottant ses élytres l’une contre l’autre. Sa passion de la musique ne l’empêche pas, du reste, d’être un féroce carnassier et il a vite raison d’un petit ennemi, qu’il dévore sur-le-champ.

La courtilière ou taupe-grillon (Gryllotalpa vulgaris) de l’image 12 est un insecte étrange. Par sa forme générale, elle rappelle un peu une écrevisse; ses pattes antérieures sont, comme celles de la taupe, des pattes fouisseuses à l’aide desquelles la courtilière est capable de retourner la terre. Elle se tient en général cachée dans le sol. Les jardiniers lui font une guerre acharnée, à cause des dégâts qu’elle produit aux cultures en coupant les racines des plantes. Pendant les nuits chaudes, les courtilières quittent parfois leur retraite souterraine et volettent çà et là en bourdonnant; on peut alors les capturer assez aisément, en les attirant à l’aide d’une lumière quelconque.

par le Dr R. Staeger, Paris (Adapté par le Dr J. Roux, Bâle)