Lorsque, dans la Nature, animaux et plantes se trouvent en présence les uns des autres, il en va pour eux comme pour le genre humain ; ils se sentent attirés ou repoussés, des liens s’établissent entre eux ou bien ils se séparent, indifférents. En règle générale, s’il y a attraction, c’est que l’un des êtres a quelque chose à offrir à l’autre – dans le cas particulier : le pollen ou le miel dispensé par les fleurs.
Dans nos climats, les insectes sont les seuls animaux qui recherchent le pollen ou le miel. Il en est un peu autrement dans les pays chauds ; là-bas, ce sont aussi certains oiseaux qui, ayant goûté aux douceurs des nectars végétaux, en sont devenus de friands consommateurs. Tout comme chez nous l’on voit abeilles, bourdons et papillons s’assembler autour des cerisiers ou du trèfle en fleurs pour en ravir le suc, on voit dans la zone tropicale de nombreuses espèces d’oiseaux se livrer à la même besogne. Ils accomplissent ainsi une tâche identique à celle des insectes de nos pays, à savoir le transport du pollen, et se font, par là, les agents de la fécondation des plantes.
L’exquise délicatesse des rapports entre les butineurs ailés et les corolles productrices des sucs recherchés semble s’être traduite sur les ailes de ces oiseaux – comme sur celles de certains papillons – par un magnifique chatoiement de couleurs. Les oiseaux anthophiles tropicaux sont, en effet, parmi les êtres vivants les plus brillamment vêtus. Ils sont en tout comparables, par la beauté de leur seul aspect comme par la grâce de leurs mouvements, à ces merveilleux papillons au vol ondoyant, qu’un rayon de soleil transforme soudain en une gemme ailée.
Parmi les oiseaux anthophiles, – anthophile signifie « ami des fleurs » – les plus grands sont ceux de la famille des Nectaridiens (images 1 et 2). On les rencontre dans l’Afrique tropicale et dans toute la région indienne, y compris les îles et archipels avoisinants ; leur nom vulgaire est souïmanga. Tandis que les femelles sont assez insignifiantes et se font plus remarquer par la grâce de leurs mouvements que par l’éclat de leur livrée, les mâles, eux, revêtus des couleurs les plus brillantes, semblent de véritables fleurs ailées, voletant avec aisance et adresse autour de celles de la forêt tropicale. Leur bec étiré et mince, qui souvent s’arque comme le tube des corolles visitées, ne pourrait être mieux conçu pour pénétrer dans les fentes étroites. Mais c’est surtout leur langue qui parfait encore l’adaptation au but recherché. Elle est fendue dans sa partie terminale et ses bords latéraux, recourbés en dedans dans le sens longitudinal, font d’elle une véritable gouttière tubulaire. Le suc végétal est aspiré par ce tube comme par une paille et il arrive souvent que les petits insectes, qui se sont introduits dans la fleur, soient entraînés en même temps que le nectar, avalés et digérés avec lui.
Les plantes préférées des Nectaridiens sont certaines espèces de cactus (figuier de Barbarie) et de mimosas. Les oiseaux s’assemblent en nombreux essaims autour de ces arbres ou arbustes en fleurs, se chassant mutuellement au gré de leur vol rapide et tachant souvent de pollen les plumes de leur poitrine. Ces charmants petits êtres ne craignent aucunement l’approche de l’homme. C’est pendant les heures torrides du milieu du jour qu’ils se démènent le plus. Ils construisent leurs nids dans les branches des arbres qui leur offrent leur nourriture ; ces nids ont la grosseur du poing et sont habilement tissés de fibres végétales.
Si les oiseaux anthophiles asiatiques et africains peuvent être déjà considérés comme des chefs-d’œuvre de la Création, il faut cependant reconnaître que les oiseaux-mouches ou colibris de l’Amérique (im. 3-12) les surpassent dans leur habileté à visiter les fleurs. Le perfectionnement consiste dans la manière dont se produit le rapprochement de l’oiseau et de la fleur. Les espèces dont il a été question plus haut sont toutes obligées, par suite du poids de leur corps, de se poser soit sur la fleur même, soit sur un rameau voisin avant de pouvoir butiner et il arrive souvent qu’elles détériorent les délicates corolles. Les oiseaux-mouches américains, qui sont beaucoup plus petits, procèdent différemment pour s’approcher des fleurs. Comme les Sphingides parmi nos papillons, ils arrivent en planant près de la fleur, puis butinent tout en se soutenant par un frémissement des ailes et s’en vont recommencer plus loin le même manège, disparaissant au regard étonné comme un éclair (im. 6). C’est à peine si, au cours de leur existence, ils arrivent à toucher le sol ; toute leur vie se passe entre les fleurs, dont la grâce et le charme sont aussi leur partage.
Mais ce n’est pas seulement par leur vol si curieux que les oiseaux-mouches sont remarquables : la constitution de leur bec semble aussi plus complètement adaptée à sa fonction, qui est de soutirer le nectar des fleurs. En forme d’alêne ou de poinçon, il est pointu comme· une aiguille et souvent pas plus gros qu’elle. Tantôt droit, tantôt recourbé (im. 3), il se compose de deux parties, l’une supérieure l’autre inférieure, qui sont toutes deux profondément excavées. Les bords latéraux de la partie supérieure recouvrant ceux de la moitié inférieure du bec, celui-ci forme en réalité un tube dans lequel la langue se meut comme une brosse dans un canon de fusil. La langue elle-même .est tubulaire et protractile. Le corps et les membres sont d’une extrême gracilité et les pattes, finement bâties, sont si ténues qu’elles ne peuvent plus servir à la marche et ne sont employées que comme support temporaire. Par contre les ailes, étroites et souvent recourbées en faucille, frappent par leur longueur et leur force ; enfin, la queue est parfois si grande qu’elle surpasse plusieurs fois les dimensions du corps. Les plus petits colibris atteignent à peine la taille d’un gros bourdon et tiendraient dans une noix. Leurs œufs ressemblent à des petits pois blancs ou colorés.
Tous les voyageurs qui ont eu l’occasion d’observer les oiseaux-mouches ont été émerveillés du charme de leurs faits et gestes et s’accordent à les décrire comme des êtres intelligents et prudents, pas du tout craintifs du voisinage de l’homme. Du matin au soir, ils traversent l’espace de leur vol infatigable et rapide, à la recherche des fleurs préférées. Pendant qu’ils soutirent le nectar, ils sont comme suspendus devant la fleur nourricière, leur queue largement étalée en éventail, leurs ailes battant l’air si rapidement qu’il est fort difficile d’observer leur vol dans tous ses détails.
On rencontre les oiseaux-mouches aussi bien dans les contrées cultivées que dans la forêt vierge, dans les steppes brûlantes et les régions élevées ; dans les montagnes, ils atteignent 4000 et même 5000 mètres d’altitude. Chaque région possède cependant des espèces qui lui sont propres.
par le Dr A. Koelsch, Rüschlikon.(Adapté par le Dr J. Roux, Bâle)