Dans nos climats, les herbes, arbres et arbustes se dépouillent presque tous d’une partie de leurs organes à l’entrée de l’hiver. A part les conifères (mélèzes exceptés) et quelques arbrisseaux tels que le houx, le buis, les laurelles, les fusains et les rhododendrons de nos jardins, le lierre et le gui, dont les aiguilles ou les feuilles coriaces résistent au gel, presque toutes les plantes de notre pays perdent leur verdure à la fin de l’automne et durant la mauvaise saison.
Quant à leurs fleurs, soigneusement cachées à l’état d’ébauche, soit dans les bourgeons soit dans des bulbes, elles attendent le retour des beaux jours pour s’épanouir. – Certains végétaux, particulièrement prudents, affrontent les frimas après s’être débarrassés non seulement de leurs feuilles mais encore de leur tige, ne conservant pour hiverner que leur partie souterraine (oignon, bulbe, tubercule ou rhizome), dans laquelle s’est retirée toute la sève et d’où renaîtront les organes momentanément abandonnés.
Comment s’effectue cette renaissance qui, d’un végétal inerte et dénudé, fait surgir un corps vivant orné de feuilles et de fleurs ? C’est le printemps qui, tel un habile magicien, ressuscite ce qui paraissait mort, mais n’était qu’endormi ; à son appel, les bourgeons s’entr’ouvrent, timidement les jeunes feuilles s’étalent et verdissent; de chaque bulbe sortent des tigettes qui, perçant la terre, s’allongent vers la lumière, émaillant bientôt le sol de délicieux bouquets de feuilles et de fleurs·; les graines enfin, s’éveillant de leur sommeil léthargique après un repos qui les a mûries, vont libérer leurs forces longtemps comprimées, puis mettre au jour le faible germe qu’elles abritaient et que la douceur printanière appelle à la vie. C’est le renouveau ! cette merveille éternelle, chantée par les poètes de tous les temps.
S’il est toujours semblable à lui-même dans son principe et dans son rythme immuable, combien n’est-il pas varié dans ses manifestations, ce renouveau de la végétation ! Suivons par exemple, la germination des graines de nos plantes les plus communes et voyons comment apparaissent, puis se développent leur racine, leur tige et leurs feuilles, Pour l’observer à loisir, plaçons des .graines de courge (image 1), de haricot, de blé ou quelques glands de chêne sur une assiette contenant un peu d’eau, en les couvrant de papier buvard humide. Ces graines ne tardent pas à gonfler ; au bout de quelques jours, tantôt plus vite tantôt plus tard suivant la température de la chambre, leur enveloppe éclate et l’on en voit sortir, pareille .à un petit ver blanc, l’ébauche d’une racine qui s’accroît en se courbant vers le bas (im. I a). Placée sur de la sciure ou de la terre humide, cette racine minuscule s’y enfonce résolument et, grâce à sa pointe, écarte ou contourne les obstacles qui pourraient entraver sa marche en profondeur. Tandis que la jeune racine prend possession de son futur domaine et s’ancre solidement dans le sol qui lui sert de père nourricier, la partie charnue et gonflée contenue jusqu’ici dans la graine se dégage de son enveloppe grâce à l’allongement de la jeune tige. Celle-ci, flexible comme un cou de cygne, se courbe à la façon d’un ressort (im. I b), puis, en se redressant, soulève tout d’abord la.coque juchée à son sommet comme un capuchon; enfin la rejette sur le sol où elle gît bientôt, baillant comme un bec de canard privé de son support. Libérées d’une protection devenue superflue, les deux feuilles qui enserraient la tigelle s’étalent et ne tardent pas à verdir (im. 1 .c). – Lors de leur germination, certaines graines ne développent qu’une seule feuille primitive et non deux comme la courge ou le haricot ; c’est le cas pour le blé et toutes les céréales (im. 2 d). Rien n’est plus propre à nous étonner que de voir sortir, de graines en somme assez pareilles quant à leur forme et leur grosseur, des plantules souvent tout à fait dissemblables (im. 2 a-c).
Si, quittant la chambre ou le balcon où nous avons fait germer nos graines, nous parcourons au printemps les champs ensemencés, les prés; la forêt ou les haies bordant les ·chemins, nous serons émerveillés de voir le travail intense qui, jour après jour, les anime. Une infinité de graines, de bulbes ou de rhizomes, confinés Par le gel et la neige dans le sol durci, s’éveillent de leur sommeil léthargique; ayant triomphé du froid et des intempéries, ils sont impatients d’épanouir à la lumière les tiges, feuilles et fleurs qu’ils contenaient en promesse. Semblables aux coureurs qui luttent de vigueur par crainte d’être distancés, tous soulèvent la terre, déplacent le sable ou le gravier qui les recouvre, chacun cherchant à faire sa place au soleil, c’est-à-dire à l’air et à la lumière qui leur assurent l’existence.
A peine découvertes, les plates-bandes de nos jardins voient s’épanouir l’éranthis d’hiver (im. 3), l’une des premières plantes qui annoncent le printemps. Portées par une tige courte et charnue, ses feuilles en verticille entourent comme d’une collerette une grosse fleur jaune, prête à se fermer au moindre retour de froid. Pareille prudence s’observe aussi chez les feuilles du pain de coucou (im. 4), – dont les folioles se rabattent l’une contre l’autre, donnant ainsi moins de prise au froid. Quant aux fleurs des perce-neige (im. s), leur élégante clochette blanche, dirigée vers le sol, forme un toit protecteur pour le pollen délicat menacé par la pluie et les rebuses de mars. Mais, rien n’égale la prudence des jeunes pousses de fougères (im. 6) contre les retours de froid ; soigneusement enroulées en crosse, elles résistent aux meurtrissures du sol qu’elles percent pour atteindre le jour et ne libèrent complètement le bourgeon délicat caché dans leurs volutes qu’après avoir consolidé leur tige et déplié leurs premières feuilles. La même prudence craintive règle la sortie des jeunes pousses du pain de coucou, aux folioles repliées, ou de celles des perce-neige en forme d’étui ou de poignard. – Souvent, les premières feuilles qui s’épanouissent possèdent une forme particulière, distincte de celle des feuilles définitives. Chez le portulaca (im. 7), espèce assez fréquente dans nos jardins, les premières feuilles situées à la base de la tige· ressemblent à une spatule, tandis ·que les suivantes sont en forme d’assiette ou d’entonnoir évasé. Certaines plantes insectivores des tropiques, les nepenthes (im. 8), ont des feuilles renflées en forme de pipe pourvue d’un couvercle ; elles se remplissent d’eau, dans laquelle les petits insectes se noient et sont ensuite digérés. Chez les nénuphars géants de l’Amérique du sud ou victoria regia (im. 9), les feuilles atteignent ·la dimension d’une roue de char et possèdent un bord relevé qui les fait ressembler à une plaque à gâteau ; reposant à la surface de l’eau, elles sont assez fortes pour porter un enfant de 6 à 7 ans.
L’épanouissement des bourgeons des arbres et arbustes n’est pas moins merveilleux que la germination des plantes herbacées. Tout d’abord serrées ·les unes contre les autres, les écailles brunes, formant comme la carapace solide du bourgeon, se gonflent et s’écartent sous la pression des jeunes feuilles, impatientes de se libérer de leur étroite prison (im. 10 à 12). Plissée comme la soie d’un parasol qui, enfermé dans son étui, ne laisse pas deviner la forme de l’ombrelle étalée, la feuille naissante conserve plusieurs jours son maintien timide et réservé ; mais bientôt elle efface ses rides, stigmates de sa longue captivité, elle redresse ses folioles, remplace sa teinte pâle et juvénile par une coloration plus franche et s’installe triomphante sur toutes les branches, dont elle forme l’opulente parure estivale.
par le Dr E. Delaquis, Paris.