Les faisans

Série 7
LES MERVEILLES DU MONDE – 1ère édition – Vol. 1 – 1929
Les faisans

Dans le monde des oiseaux, la grande famille des faisans est l’une de celles qui, d’emblée, attirent l’attention de l’observateur par l’extrême richesse du plumage. Dans les différents genres qui la composent, c’est une bigarrure extraordinaire de la livrée et c’est aussi une diversité remarquable dans la beauté de coloris des plumes prises isolément. Bien que le faisan ordinaire soit un des gibiers à plumes les plus connus chez nous, cet oiseau n’est cependant pas une espèce autochtone de nos contrées. Il est originaire de l’Asie d’où il fut importé, dans l’antiquité déjà, en Grèce et en Italie, puis du XIe au XIIIe siècle en Allemagne, en Alsace et dans. le nord de la France, plus tard aussi en Suisse et en Angleterre.

Les premiers faisans importés en Grèce provenaient des contrées environnant la Mer Caspienne et principalement des bords du Phase, dans l’antique Colchide. C’est la raison pour laquelle le grand naturaliste suédois Linné – l’auteur d’innombrables dénominations scientifiques de plantes et d’animaux – donna au faisan ordinaire (image 1) – le nom latin de Phasianus colchicus.

Mais tous les faisans importés dans nos contrées ne sont pas originaires des régions voisines de la Mer Caspienne ; ceux qui furent introduits dans les siècles subséquents proviennent de l’Asie centrale, soit du Tibet ou de l’Altai, soit du Turkestan, de la Chine ou du Japon. C’est ainsi qu’au faisan ordinaire typique vinrent, petit à petit, s’associer chez nous d’autres formes voisines telles que le faisan blanchâtre (image 2), le faisan à collier (image 3), le faisan à demi-collier (image 4), le faisan du Sé-Tchouen et le faisan bigarré (image 5).

Les noms de ces divers faisans sont dus aux naturalistes qui, de leurs lointaines expéditions, rapportèrent les peaux de ces oiseaux. Pour ces dénominations, on se basait, comme principe directeur. sur les différences plus ou moins grandes existant entre les oiseaux nouvellement découverts et l’espèce déjà connue, nommée par Linné faisan ordinaire. Depuis Linné et jusqu’à ces dernières années, on a conservé l’habitude de se baser sur la morphologie pour la distinction des diverses «espèces». On regardait comme apparenté ce qui se ressemblait, en désignant les sujets quelque peu différents comme «sous-espèces» ou «formes », tandis qu’on envisageait comme espèces distinctes celles qui présentaient entre elles des différences frappantes, soit dans la forme du corps, soit dans la couleur du plumage. C’est ainsi qu’on distinguait, il n’y a pas longtemps encore, trente-six espèces et sous-espèces de faisans importés chez nous comme gibier à plumes. Or tous ces faisans, si diverse que soit leur livrée, s’accouplent indifféremment les uns avec les autres au hasard des rencontres dans leur nouvelle résidence ; il en résulte, chez leur descendance, un curieux mélange des caractères des procréateurs. Cet exemple de croisements dus au hasard, et nullement intentionnels entre les différents faisans importés en Europe, illustre d’une façon frappante la notion moderne de la systématique, basée aujourd’hui sur la biologie. Elle nous enseigne que, pour pouvoir établir une parenté véritable, c’est-à-dire consanguine, les critères de la couleur et de la forme extérieure du corps sont bien moins importants que les caractères tirés du sang ou du comportement physiologique. Des animaux qui s’unissent et produisent une descendance elle-même féconde sont regardés comme appartenant à la même espèce ou, comme on dit aujourd’hui, au même cercle spécifique. Les différences qui se font jour à l’intérieur d’un cercle sont purement topiques et permettent de subdiviser l’espèce en races géographiques. C’est ce qui a été fait pour les trente six espèces et sous-espèces de faisans importés ; on les considère maintenant comme races géographiques d’un seul cercle spécifique, celui du faisan ordinaire. Malgré la grande différence que présentent entre eux le faisan ordinaire de la région Caspienne et le faisan bigarré du Japon, par exemple, tous deux appartiennent pourtant au même cercle spécifique, tout comme l’homme habitant les bords de la mer Caspienne appartient à la même espèce que le Japonais ; ils ne sont que des races géographiques différentes d’un même cercle spécifique.

Dans nos jardins zoologiques et dans nos grandes faisanderies, on trouve encore d’autres sortes de faisans; bien que provenant parfois des mêmes régions que ceux dont il a été question plus haut, ils ne peuvent en général donner de descendance avec eux. La raison : c’est qu’ils appartiennent à d’autres cercles spécifiques. C’est ainsi que l’on rencontre aussi le faisan de Sommering dans les territoires d’où provient le faisan bigarré, le faisan royal (image 6) à côté du faisan du Sé-Tchouen et le faisan doré (image 7) à côté du faisan à collier. Les croisements qu’on a essayé d’effectuer entre ces divers faisans et le faisan ordinaire ont bien produit, de temps à autre, des descendants ; mais il s’agis sait toujours, dans ces cas-là, de bâtards stériles dont l’élevage ultérieur était impossible. Par contre, le faisan doré, le faisan d’Amherst (image 8) et le faisan obscur donnent naissance, à chaque accouplement, à des jeunes capables de se reproduire ; on en déduit que ces trois sortes de faisans doivent être considérées comme races géographiques d’un même cercle spécifique, celui des faisans à camail. On trouve de même, en Asie centrale, plusieurs sortes de faisans oreillards (image 9).

Pour compléter la série des faisans, mentionnons encore deux autres cercles spécifiques qui, bien que portant le nom de faisans, n’ont aucune parenté consanguine avec ceux dont nous nous sommes occupés jusqu’ici : c’est tout d’abord le Monal ou Lophophore (image 11), qui habite les hautes montagnes du sud de l’Himalaya et du Cachemire ; enfin, l’Ithagène (image 12), qui est représenté, sur les plateaux élevés du sud-est de l’Asie, par plusieurs races diversement colorées, les unes plutôt vertes et d’autres où le rouge domine.

par le Dr G. Dennier, Strasbourg (Adapté par le Dr J. Roux, Bâle.)