Qui n’a pas caressé, une fois ou l’autre, le rêve d’un voyage aux pays tropicaux, dont les splendeurs naturelles ont été tant de fois vantées et décrites ? Les merveilles de la nature sont cependant aussi à la portée de tous ceux qui, pour une raison ou pour une autre, ne peuvent quitter leur pays. A quelque moment que ce soit, pendant les jours glacés de l’hiver comme aux heures ensoleillées de l’été, chacun peut pénétrer dans un monde enchanteur. Il suffit pour cela de posséder un petit microscope, pouvant grossir 200 ou 300 fois les objets, et de faire une promenade jusqu’au prochain étang ou fossé rempli d’eau stagnante.
Alors s’ouvre toute grande la porte d’un monde inconnu, dont les beautés insoupçonnées sont légion ! Des êtres microscopiques vivent là, en nombre immense ; on en connaît environ 25,000 espèces. Nous en montrerons ici une douzaine seulement, choisis parmi les plus intéressants.
Mais comment s’y prendre pour admirer ces merveilles ? Il suffit de puiser un peu de cette eau stagnante, en ayant soin de récolter aussi une petite quantité de l’écume qui la recouvre. On placera une goutte de cette eau sur une lame de verre, qu’on posera ensuite sous le microscope. Au premier coup d’œil, on sera saisi d’étonnement et d’admiration ! Qu’aperçoit-on là? Que sont ces longs serpents verdâtres ? et ces petits êtres luisants, pareils à des miniatures de poissons, chacun muni d’un oeil rouge et se frayant un chemin à l’aide d’un fouet tourbillonnant? On les voit se diriger tous dans la même direction ; ils vont, sans se tromper, du côté de la lumière. Le naturaliste sait que ces petits corps verdâtres sont des plantes minuscules (il en va vingt au millimètre) et les nomme Euglena (image 2) ; elles se meuvent librement et sont parfaitement inoffensives. Ce sont les Euglènes qui, presque toujours, donnent à l’eau sa coloration verte.
D’autres espèces, de formes plus belles ou plus compliquées, se réunissent à l’intérieur d’une petite sphère transparente; elles appartiennent au groupe des Volvocinées (im. 7) et elles confèrent parfois aussi à l’eau une couleur d’émeraude. Il est une petite algue, tantôt verte et tantôt rouge, qui peut vivre non seulement dans l’eau, mais encore dans la neige de nos Alpes. Elle teinte les champs neigeux d’une couleur brune, comme la rouille ; autrefois, ce phénomène était considéré et craint comme un mauvais présage. Les Volvocinées se meuvent rapidement dans l’eau ; elles cherchent la lumière qui leur est nécessaire, comme à toutes les plantes. D’autres de ces petits végétaux, qui ne peuvent se déplacer promptement, par exemple les Spirogyra (im. 3). les Pediastrum (im. 5) et autres algues microscopiques (Micrasterias), arrivent néanmoins, en surnageant, à étaler à la surface des eaux stagnantes les épaisses couches vertes de leurs fils entremêlés, ainsi qu’on peut l’observer un peu partout. Dans d’autres cas, ces petits êtres évoluent lentement, pour se tourner vers la lumière dont ils ne peuvent se passer.
Voici le long ruban d’émeraude des Spyrogyra, aux méandres compliqués ; on en voit sortir, ici et là, de petits corpuscules verts, nageant librement, qui iront se fixer bien tôt ailleurs pour y perpétuer l’espèce. Entre ces filaments entrecroisés en tous sens, on peut apercevoir des animaux étranges. En voici un, par exemple, qui figure un minuscule soleil et porte pour cette raison le nom d’Hélioroaire (im. 4) : plus loin ce sont des infusoires nommés Vorticella (im. 1o) et dont le corps, en forme de gracieuse clochette, est fixé à un long et mince pédoncule. Les rayons de l’Héliozoaire ne sont toutefois pas étalés pour luire, mais pour saisir la nourriture. De même, les cils qui tourbillonnent sur la petite Vorticelle servent à produire un courant qui amènera à sa bouche les fines particules, les bactéries dont elle se nourrit. Mais voilà que, tout d’un coup, l’un de ces infusoires s’est promptement retiré, enroulant son pédoncule ; les autres suivent bientôt son exemple. Que se passe-t-il done ? Un ennemi, un gros carnassier s’approche, c’est un Rotateur (im. 8) ou un Cyclops (im. 6). Ces animaux, environ cent fois plus grands que les infusoires, se rencontrent communément aussi dans les eaux stagnantes riches en végétaux. Sous le microscope, ils paraissent transparents et l’on aperçoit distinctement leurs divers organes : l’œil, l’estomac, le cerveau, les muscles, les nerfs ; tout cela vit et fonctionne ! Les Cyclops, qui sont de petits crustacés, portent un paquet d’oeufs de chaque côté du corps ; à l’intérieur de celui-ci, des gouttelettes graisseuses, de couleur orange, témoignent du besoin qu’ont ces petits êtres d’une réserve de calories pour pouvoir vivre dans l’eau glacée des lacs alpestres.
Les ravissantes petites algues siliceuses appelées Bacillariacées (im. 1) habitent aussi les eaux froides ; de cou leur dorée, elles scintillent, pareilles à de minuscules cristaux. Dans les mêmes eaux vit un étrange crustacé, le Bythotrephes (im. 12). On le trouve, par exemple, dans les profondeurs du lac de Constance, où il forme la nourriture préférée des féras. Lui-même se nourrit des algues siliceuses dont nous venons de parler ; à leur tour, les poissons le dévorent et nous, les hommes, terminons cette chaîne… en mangeant le poisson, sans nous douter aucunement de l’importance qu’ont pour nous les infiniment petits. Et cependant, ces êtres microscopiques qui, partout, animent les eaux sont en rapport, plus ou moins direct, avec notre existence. A cet égard, le fossé d’eau stagnante, le ruisseau, le lac ou la mer jouent un rôle identique. Dans l’océan, pendant les nuits chaudes et agitées, des myriades d’infusoires luisants, les Noctiluques (im. 11) produisent le merveilleux phénomène de la mer phosphorescente. Dans les abîmes sombres des eaux, flottent d’exquises petites créatures, les Radiolaires (im. 9), merveilles de la nature, dont la cohorte innombrable est d’une richesse de forme sans bornes.
On le voit, aucune goutte de l’océan qui ne contienne des êtres organisés : bactéries, algues siliceuses, infusoires, radiolaires, crustacés, les uns mêlés aux autres et formant l’immense réservoir nutritif où puisent les animaux qui vivent dans la mer. Parmi les paquets d’algues qui sont pour ces êtres microscopiques de véritables forêts vierges aussi les féroces combats de la lutte pour l’existence. Celui se livrent qui se donne la peine d’observer assiste à des chasses passionnantes, découvre des adaptations ingénieuses et avant tout s’émerveille de la beauté des formes et des couleurs que revêtent ces êtres microscopiques. Pour ceux qu’intéressent les manifestations de la nature, les infiniment petits constituent un anneau important de l’admirable chaine qui relie entre eux tous les êtres organisés. Leur absence causerait des perturbations dont on ne peut mesurer la gravité, car ils contribuent, malgré leur petitesse, à la marche normale de l’économie générale du globe. Ce monde microscopique vaut donc la peine d’être connu, puis étudié, d’autant plus qu’il revêt des formes et des couleurs dont la diversité et la beauté permettent à ceux qui se penchent sur lui de percevoir, ne fût-ce que par l’image, l’infinie magnificence de la Nature.
par R. H. Francé, Salzbourg (Adapté par le Dr J. Roux, Bale.)