Chacun connaît la petite lueur verte que projette la femelle de l’insecte nommé ver luisant. Le rôle de cet organe lumineux est semblable à celui de la lampe qu’allumait Héro dans l’attente de Léandre… il facilite la rencontre, dans l’obscurité, des couples qui se cherchent. Si l’on veut admirer dans toute sa splendeur cet étonnant phénomène, il faut se rendre dans les contrées tropicales ; là-bas, souvent les nuits sont constellées de lumières vivantes qui, par intermittence, illuminent le paysage. Et dans ces régions chaudes, non seulement l’air, mais aussi l’eau est un sujet d’observation ; c’est le cas aux iles de la Sonde, dans le cratère d’un ancien volcan aujourd’hui englouti par la mer. Ici, il ne s’agit cependant plus d’insectes, mais de poissons lumineux.
Le poisson représenté par l’image 1, l’Anomalops catoptron, possède, au-dessous de chaque œil, un organe lumineux qui, semblable à un phare d’auto, illumine d’un faisceau verdâtre la masse obscure de l’eau environnante. Sans aucun doute, cet organe sert aussi de signe de ralliement ; mais ce n’est pas tout ! Ce poisson est un vorace carnivore, qui happe toutes les proies arrivant dans le rayon projeté, véritable phare attirant ces proies comme la flamme d’une bougie attire les moucherons. Les indigènes ont observé le fait et c’est la raison pour laquelle ils découpent volontiers cet organe lumineux pour le piquer à leurs hameçons en guise d’appât. Si le poisson voit s’approcher un ennemi et ne veut pas lui révéler sa présence, il peut, par une simple contraction musculaire, faire disparaître instantanément le faisceau lumineux. Par cet exemple, on comprendra aisément com bien précieuse est cette faculté de produire de la lumière pour les poissons dont toute la vie se passe dans les ténèbres des grands fonds marins. On sait, en effet, qu’au-dessous de 400 mètres de profondeur la lumière n’arrive plus à traverser la couche d’eau, même en plein jour. Or, malgré cette obscurité éternelle, malgré le froid et l’énorme pression qui augmentent avec la profondeur de l’eau, on trouve encore, à des milliers de mètres au-dessous de la surface, des êtres vivants en grand nombre et parmi eux certaines espèces de poissons. Ce sont précisément ces poissons qui, avec un raf finement quasi fabuleux, présentent cette adaptation merveilleuse de produire eux-mêmes la lumière dans leur obscur habitat. Nous verrons que diverses parties de leur corps sont pourvues d’organes émettant des rayons de teintes différentes.
Chez le Malacosteus de l’Inde (image 2), le phare dont nous avons parlé chez l’espèce précédente est remplacé par deux organes situés en arrière de l’œil, l’un plus grand émet tant une lumière rouge, l’autre plus petit produisant des rayons verdâtres. Ces deux organes peuvent fonctionner indépendamment l’un de l’autre. Chez les poissons des grands fonds, le phare est encore perfectionné en ce que l’intensité de la source lumineuse est avivée par un réflecteur ou une lentille et, comme dans le cas présent, par des membranes diversement colorées. La teinte noire du poisson l’aide, d’autre part, à se dissimuler à la vue de ses ennemis. Cette protection ne semble pas être indispensable cependant, si l’on considère le poisson du genre Argyropelecus (image 3). Sa face ventrale possède un revêtement brillant, argenté, sur lequel sont disposées des rangées entières d’organes projetant une lumière verdâtre ; et ses énormes yeux, dirigés vers le haut à la façon d’un télescope, lui facilitent la rencontre désirée de l’une de ses semblables !
Chez le Dactylostomias (image 4), que l’on rencontre le long des côtes de l’Afrique occidentale, il n’y a pas d’organe lumineux sur le devant de la tête, mais une quantité de corpuscules régulièrement alignés sur les flancs du poisson.
Le Melanostomias (image 5) des grands fonds marins qui environnent l’ile de Sumatra est encore différent. Chez lui, le phare céphalique existe et répand une lumière d’un bleu tendre; en outre, d’autres corpuscules lumineux plus petits occupent les côtés du corps; enfin, un filament ou barbillon fixé à la tête porte, lui aussi, un organe lumineux à son extrémité ! Cela nous dévoile le deuxième rôle que jouent ces organes déceler la présence des proies et, en même temps, les attirer. En nageant, le poisson déplace devant lui cette petite lampe vivante, pareille à un hameçon suspendu à un fil. Cette disposition est poussée à l’extrême chez le Macrostomias (image 6), qui habite l’océan Atlantique. Non seulement il possède des rangées de corpuscules lumineux le long de son corps argenté, étiré comme celui d’une anguille, et en outre un barbillon également lumineux, mais il est encore capable d’émettre de la lumière sur ses nageoires ventrales, allongées comme des filaments! Bref, tout ce système d’appâts nous prouve que la luminosité pro duite poursuit avant tout un but éminemment pratique… celui de remplir l’estomac de tous ces monstres sous-marins.
L’Oneirodes (image 7), habitant l’océan Indien et dont la couleur est d’un bleu tirant sur le noir, semble être une tête détachée, nageant à l’aventure et portant sur son nez un appendice pédonculé. L’image 8 représente un véritable démon, le Melanocetus, qui habite le golfe de Guinée. L’énorme bouche, si bien armée, dit clairement les instincts carnassiers de son hideux propriétaire. Une espèce voisine (image 9) nous montre également une bouche hérissée de dents et n’a, sous ce rapport, rien à envier au plus redouté des requins. Le Gigantactis (image 10) vit dans l’océan Indien. De forme un peu plus élancée que les précédents, il s’en distingue en ce que le long filament, porteur à son extrémité du corpuscule lumineux, est le prolongement direct de la partie supérieure du museau ; ce barbillon se termine par une quantité de petits pinceaux tactiles, utilisés comme antennes, même dans l’obscurité. Mais c’est le Macropharynx (image 11) du golfe de Guinée qui détient le record pour les dimensions de la bouche ! Il ne ressemble du reste presque plus à un poisson ; c’est un simple réceptacle d’aliments, muni d’une longue queue pouvant émettre de la lumière à son extrémité.
Signalons, en terminant, un habitant des grands fonds marins qui n’est pas un poisson, mais un mollusque céphalopode voisin des calmars, le Lycotheutis (image 12). Lui aussi a dû se résoudre à produire lui-même sa lumière et il l’a fait avec une exubérance admirable. Scintillant comme un diadème multicolore, il possède vingt-quatre corpuscules lumineux: deux à chacun des bras principaux, cinq au-dessous de chaque œil, deux sur la partie antérieure du corps, lesquels projettent une lumière rouge, et une guirlande de corpuscules blancs et bleus en arrière du corps. N’est-il pas dommage que toutes ces splendeurs restent cachées dans l’éternelle nuit des abimes sous-marins ?
par Wilh Bölsche, Schreiberhau (Adapté par le Dr J. Roux, Bâle.)