
La terre entière est maintenant explorée, entend-on souvent répéter, il n’y reste plus rien à découvrir»! Et pourtant, même en Europe, où chaque parcelle de territoire est mesurée, reportée sur des cartes, où tous les sommets de chaque chaîne de montagne ont été gravis et portent un nom, même en Europe il existe de vastes territoires souterrains encore inexplorés, d’immenses grottes, habitées par des animaux et des plantes très particulières et qui constituent vraiment un monde à part.
N°1. Palais de glace, dans la grotte Eisriesenwelt N°2. Stalagmites de glace, dans la grotte Eisriesenwelt N°3. Grotte blanche, à Capri (Italie) N°4. Entrée de la grotte Eisriesenwelt près de Salsbourg N°5. Grotte de St-Kanzian (Carso) N°6. Colonnes de calcaire, dans la grotte de Sabart (France méridionale) N°7. Pente de glace, dans la grotte Eisriesenwelt N°8. Echelle de corde, dans la grotte de Kacna jama (Carso) N°9. Exploration des grottes Recca (Carso) N°10. Fond d’une caverne, dans la France méridionale N°11. Grotte bleue, à Capri (Italie) N°12. Stalactites et stalagmites, dans la grotte d’Adelsberg (Carso)
Presque toutes ces cavernes doivent leur existence à l’action dissolvante de l’eau de pluie. Là où le sol est formé de roches solubles comme le calcaire, la dolomie ou le gypse, l’eau s’infiltre, se creuse un passage sous la terre; elle dissout peu à peu, sur son parcours, les roches qu’elle traverse, et c’est ainsi que prennent naissance les grottes. Même les cavernes qui sont à sec, où nulle eau ne coule plus aujourd’hui, se sont formées de cette manière. La disposition de la grotte le prouve, qui comprend un grand couloir principal, ou même plusieurs, où débouchent de part et d’autre des affluents latéraux plus petits.
L’image 4 donne comme exemple l’entrée de l’Eisriesenwelt; cette grotte, dont le nom signifie le monde des géants glacés, est la plus grande caverne renfermant de la glace. Elle se trouve dans les Alpes autrichiennes, près de Salzbourg, à 1700 mètres d’altitude. Dans les temps très anciens, cette contrée était sans doute au niveau de la mer, ou à peu près; au cours des millénaires, par de lents phénomènes de plissement et de surélévation, elle a été portée à son altitude actuelle. Naturellement, cette surélévation fut accompagnée de dislocations importantes, de cassures, de pressions, de sorte que plusieurs boyaux de ces grottes ont été aveuglés. L’eau dut alors se créer d’autres passages; et, bien entendu, c’est de plus en plus bas qu’elle s’est écoulée, à mesure que le pays se surélevait.
La grotte de l’Eisriesenwelt est un exemple typique des cavernes de haute montagne, avec son lacis de couloirs, boyaux et galeries; on en a exploré et mesuré déjà plus de 30 km., mais d’innombrables ramifications sont encore à découvrir. Dans sa partie supérieure, le sol est entièrement couvert de glace, souvent épaisse de 20 m. (im. 1 et 2); et c’est de là que cette grotte tire son nom. On n’y peut pénétrer qu’à l’aide de crampons, permettant de gravir des pentes de glace inclinées à 40° (image 7) sans devoir tailler des marches. Et certes, il y faut l’expérience et l’entraînement d’un alpiniste; si le pied glisse, c’est la chute mortelle dans les ténèbres des abîmes inexplorés.
Mais le danger est pire encore dans certaines grottes occupées par des rivières. L’exploration ne peut s’y faire que dans de petits canots construits spécialement (image 9). Parfois le passage est si étroit que même ces canots n’y peuvent pénétrer; il ne reste d’autre ressource que de se jeter à la nage, dans l’eau glacée. Seulement, il arrive qu’une forte pluie d’orage grossisse brusquement ces rivières souterraines; l’eau monte, emplit entièrement l’étroit canal et coupe la retraite à l’explorateur. Dans ce cas la mort, par noyade dans les galeries engorgées d’eau, est presque toujours la seule récompense de l’audacieux pionnier.
Ce qui fait la grande beauté des grottes, c’est avant tout leur richesse en stalactites; elles font la célébrité de la grotte d’Adelsberg, dans le Carso (Istrie), de la grotte de Han (Belgique), de celle de Padirac (France) et de bien d’autres encore. Ces stalactites ne sont autre chose que du calcaire déposé goutte à goutte par l’eau qui suinte du plafond de la caverne. Chargée d’acide carbonique, l’eau qui circule dans les plus petites fissures de la roche est à l’abri de l’air; c’est ce qui lui permet de dissoudre le calcaire. Mais lors qu’elle suinte de la grotte et se trouve au contact de l’air, elle dégage une partie de son acide carbonique; du même coup, elle dépose une parcelle de son calcaire qui reste fixé au plafond. Ce phénomène se répète, au cours des milliers d’an nées, un nombre incalculable de fois; ainsi se forment peu à peu ces longs candélabres de calcaire, qui pendent au plafond des grottes et qu’on nomme des stalactites. Un semblable dépôt se produit aussi sur le sol de la grotte, là où tombent les gouttes d’eau du plafond; sous les stalactites qui pendent, s’élèvent ainsi du plancher des cônes de calcaire que l’on appelle des stalagmites (image 12). A force de croitre de part et d’autre, stalactites et stalagmites finissent par se rencontrer, se rejoindre, se confondre et bâtir une véritable colonne (image 6).
Mais ces concrétions calcaires peuvent prendre toutes sortes de formes. On trouve parfois des cuvettes disposées en terrasses, d’où l’eau s’écoule en petites cascades admirables (image 5); on trouve même des véritables rideaux de calcaire, de plusieurs mètres carrés de surface, mais minces de quelques centimètres, où la lumière des torches allume des jeux de couleurs fantastiques.
Toutes les cavernes ne sont pas creusées par les eaux courantes; il en est qui doivent leur existence surtout au déferlement de la mer. Les deux exemples les plus connus sont la Grotte bleue et la Grotte blanche, à Capri, dans la baie de Naples (im. 11 et 3). La Grotte bleue doit son nom à ce que la caverne, avec l’eau qui la remplit, et tout objet plongé dans l’eau, jusqu’au canot qui y flotte et à ses occupants, apparaissent comme baignés dans une lumière bleue. L’explication de ce phénomène est simple: la lumière du jour ne peut pénétrer dans la grotte que par une ouverture située au-dessous du niveau de la mer; or, l’eau de mer ne laisse passer que les rayons bleus.
L’exploration des grottes inconnues est une entreprise qui demande une préparation minutieuse et qui ne peut être accomplie que par des hommes expérimentés. Chaque pionnier doit avoir une bonne lampe et de quoi l’allumer en toutes circonstances. Une boussole précise, divers appareils de mesures, de fortes cordes sont indispensables, de même que d’abondantes provisions. S’il s’agit de pénétrer dans des grottes – l’on est descendu jusqu’à 500 m. de profondeur – on se munit d’échelles de cordes, que l’on attache solidement à l’entrée (image 8). Pour avoir les mains libres, on fixe alors la lampe à un casque d’acier, qui protège aussi la tête contre les chutes de pierres pouvant se produire.
L’exploration des grottes la spéléologie, comme on appelle la science qui s’en occupe- a pris un très grand développement depuis quelques dizaines d’années. Elle a surtout un intérêt scientifique, mais souvent aussi une grande utilité pratique, par exemple dans la lutte contre le typhus. Les grottes, les gouffres servent en effet souvent de dépotoirs; on y jette des ordures, des cadavres d’animaux (image 10). Il arrive que l’eau circulant dans ces cavernes s’infiltre dans les nappes aquifères qui alimentent des sources d’eau potable; elle peut alors les contaminer dangereusement. La spéléologie n’est donc nullement, comme on le croit souvent, un sport pour quelques hommes aventureux. Presque tous les résultats de ses recherches contribuent en quelque façon à l’intérêt général; parfois très dangereuses, celles-ci méritent d’être hautement appréciées.
par le Dr J. Oedl, Salzburg (Adapté par le Dr M. Lugeon, professeur à Lausanne.)