Protection de la progéniture

Série 7
LES MERVEILLES DU MONDE – 1ère édition – Vol. 1 – 1929
Protection de la progéniture

La légende bien connue de Remus et Romulus nous apprend que ces deux frères, ayant perdu très tôt leur mère, furent allaités par une louve. Cette légende fut sans doute inventée pour doter les fiers Romains, qui se disent les descendants de ces jumeaux, d’une origine peu commune. On peut cependant se demander si elle n’a pas un sens plus profond. Ne nous parle-t-elle pas aussi de cette sollicitude maternelle qu’on rencontre dans tout le règne animal, dont les mœurs aussi diverses qu’étonnantes, relatives à la protection de la progéniture, ont été observées et décrites par les naturalistes ?

Voici tout d’abord, dans un groupe fort éloigné de l’hom me, celui des reptiles, un grand serpent des forêts tropicales, le Python (image 1), qui est peut-être à l’origine du dragon de la fable. Comme on le sait, la température du corps des reptiles est variable. Quand la femelle du python a pondu ses œufs, au nombre d’une centaine environ, elle s’enroule autour de ce tas, formant une sorte de berceau protecteur; elle chauffe ainsi ses oeufs durant des semaines et même des mois, jusqu’à leur éclosion.

Comment s’y prendra donc le grand Pingouin, qui n’habite pas un pays chaud, mais les régions polaires antarctiques? Le seul oeuf que pond cet oiseau ne tarderait pas à geler s’il était déposé sur la glace. La femelle fait donc comme celle du kangourou ; elle introduit cet oeuf dans un repli graisseux de la région ventrale de son corps et déambule partout gravement avec lui. Longtemps encore après sa naissance, d’ailleurs, le petit pingouin se réchauffera dans cette cachette maternelle (im. 2). L’image 3 représente la femelle de l’Amadine de Gould, petit oiseau australien aux vives couleurs ; son nid, construit sur le type de celui des tisserins, est placé dans de sombres recoins. La femelle aurait grand’peine à trouver, dans l’obscurité, les becs ouverts des oisillons réclamant leur pitance, si la nature n’avait pourvu ceux-ci, à la base du bec, de petites plaques ou perles qui concentrent et reflètent le peu de lumière parvenant jus qu’au nid. Un autre oiseau, le Sutoria de l’Inde (im. 4), nous offre un exemple différent de sollicitude maternelle. Cet oiseau est un adroit tailleur, qui arrive à coudre ensemble deux feuilles voisines d’un rameau. Avec une merveilleuse adresse, il s’empare d’un filament qu’il tire et passe d’une feuille à l’autre, à l’aide de son bec, et retient pour finir par un véritable noeud. C’est dans la poche ainsi formée que l’oiseau-tailleur déposera ses oeufs. Dans les forêts d’eucalyptus géants de l’Australie, on rencontre un mammifère qui, à première vue, ressemble à un ourson. Cet animal appartient cependant à un tout autre groupe, celui des Marsupiaux ; c’est le Koala cendré, dont la femelle promène sur le dos son petit, lorsque celui-ci, devenu trop volumineux, ne trouve plus place dans la poche maternelle (im. 5).

Mais les difficultés augmentent lorsque l’éclosion des jeunes a lieu dans l’eau. L’Hydrophile de nos étangs, insecte franchement aquatique, protège ses œufs de la façon suivante : il entoure tout d’abord son corps d’une sorte de tissu imperméable en forme de sac, dans lequel il pond. Il sort ensuite délicatement de cette enveloppe, de manière qu’un peu d’air y reste emprisonné, puis il la ferme en y façonnant une pointe redressée, une sorte de périscope. Ainsi, le frêle esquif peut flotter en équilibre à la surface de l’eau (im. 6). Voici un cas inverse très curieux. On sait que chez la plupart des amphibiens, les larves (têtards) sont aquatiques. Une des intéressantes exceptions est celle d’une grenouille des Seychelles, le Sooglossus. Ne trouvant pas d’eau stagnante dans les forêts des îles qu’il habite, l’animal colle sur son dos les œufs qu’il a pondus et c’est la sécrétion de sa peau qui fournit l’humidité nécessaire à leur développement (im. 7). Une autre exception, encore plus bizarre, est présentée par une petite grenouille sud-américaine, au museau muni d’un court appendice. La manière dont ce batracien protège sa descendance confine à l’invraisemblable, mais est cependant exacte. Ici, c’est le mâle qui, s’emparant des œufs qui viennent d’être pondus sur le sol par la femelle, les introduit dans sa bouche d’où ils passent dans son grand sac vocal. C’est dans cette poche que les œufs éclosent et que les jeunes se développent, jusqu’à ce qu’ils puissent s’échapper à l’état de grenouilles parfaites (im. 8). – Une grenouille de Java, dite Grenouille volante parce qu’à l’état adulte elle peut, grâce aux larges palmures de ses doigts et orteils, se soutenir dans l’air, en sautant entre les branches, protège sa progéniture d’une manière qui rappelle un peu l’oiseau-tailleur dont nous avons parlé. Elle frappe de ses pattes les enveloppes mucilagineuses entourant ses œufs, puis les transforme en une sorte de « crème fouettée» qu’elle agglutine, au-dessus d’une mare, entre les feuilles d’un rameau d’arbuste. A l’intérieur de la masse, il se forme une cavité contenant un peu d’air et une quantité minime de liquide, dans lequel les têtards subiront leurs premières transformations avant de tomber à l’eau, où ils achèveront normalement leur métamorphose (im. 9). Chez une grande rainette de l’Amérique du Sud, la Patte d’oie, les choses se passent tout autrement ! Les œufs se développent bien dans l’eau stagnante, mais la femelle a eu soin de les mettre à l’abri. Pour cela elle a construit sur le bord de l’étang, à l’aide de ses fortes pattes antérieures, de petites digues circulaires qui emprisonnent une certaine quantité d’eau. C’est dans ces étangs en miniature que les jeunes se développent et se meuvent, parfaitement protégés des ennemis (poissons et larves d’insectes carnivores) par les digues encerclant les mignons aquariums (im. 10).

Chez certains poissons, nous voyons aussi le mâle défendre sa progéniture, même en pleine eau. Afin que les jeunes, encore inaptes nager, ne succombent pas asphyxiés dans la vase, le mâle les fixe au-dessous de plantes aquatiques à l’aide de filaments visqueux. Le renouvellement de l’air nécessaire à la respiration est assuré par un balancement continu. L’image 11 représente le mâle d’une de ces espèces, le Polycentropsis abbreviata, et les jeunes embryons suspendus. Un poisson d’une autre famille, l’Hyperopysus, a des mœurs analogues.

L’exemple que nous citons en terminant montre que le mâle se charge aussi, parfois, d’une lourde tâche pendant la période de l’élevage de la progéniture. Chez un des calaos des tropiques, le Buceros rhinoceros L. (im. 12), le mâle emmure littéralement la femelle et son oeuf dans la cavité d’un arbre, choisie comme nid. A l’aide de diverses substances résineuses et de salive, il fabrique une sorte de ciment dont il recouvre l’entrée du nid, laissant seulement un orifice par lequel la femelle peut faire passer l’extrémité de son gros bec. C’est le mâle qui pourvoit à la subsistance de la femelle qu’il a emprisonnée. Le labeur incessant auquel il se livre dans sa chasse aux insectes ne tarde pas à le faire affreusement maigrir, tandis qu’au contraire la femelle, en réclusion temporaire, prend de l’embonpoint dans sa prison.

par Wilh. Bölsche, Schreiberhau (Adapté par le Dr J. Roux, Bâle.)