Biotechnique

Série 3
LES MERVEILLES DU MONDE – 1ère édition – Vol. 1 – 1929

On a fait dernièrement, sur l’Elbe, des essais avec un bateau moteur d’une forme peu commune. L’arrière était aminci comme le bout d’un cigare et l’hélice se trouvait à l’avant, dans un canal communiquant avec des ouvertures pratiquées sur le côté ; quant au corps du canot, il était rugueux comme celui d’un poisson écailleux. Cet engin devait imiter un poisson et démontrer que nos idées sur la forme idéale d’un bateau sont erronées, faute d’avoir observé avec exactitude, jusqu’ici, la manière dont les poissons se meuvent dans l’eau.

Mais alors, comment ceux-ci progressent-ils dans l’élément liquide ? On a cru jusqu’à présent que c’était grâce aux mouvements des nageoires. Or, des observations scientifiques récentes nous apprennent que les nageoires servent seulement de gouvernail. La progression se produit par le fait que le poisson introduit de l’eau dans sa bouche et la chasse ensuite à travers ses fentes branchiales; par le jeu de celles-ci, l’animal est poussé dans l’eau comme une fusée. Quittant les branchies, l’eau produit des tourbillons le long du poisson et, grâce aux rugosités de la peau, transmet leur énergie motrice au corps de l’animal. En construisant le bateau dont il est question plus haut, on a tenu compte de ces observations et cherché à en appliquer pratiquement le principe. Les résultats obtenus furent étonnants ; avec un moteur de 6 chevaux seulement, ce bateau atteignit la même vitesse qu’un bateau ordinaire de mêmes dimensions, mais pourvu d’un moteur de 50 chevaux ! Cet exemple est tiré du champ d’études d’une science jeune encore, mais qui progresse rapidement depuis quelques années : la biotechnique ; elle nous apprend que les plantes et les animaux se servent de moyens techniques dans une large mesure.

Chacun a déjà entendu parler du poisson volant (image 1). On a observé qu’il vole à la voile et on pourrait probablement tirer des applications pratiques d’une étude de cet animal. Sous d’autres rapports aussi, les poissons sont parmi les mieux « doués », au point de vue technique. C’est, par exemple, la petite épinoche (image 2) qui, lorsqu’elle monté la garde devant le nid contenant ses œufs, maintient constamment érigées les épines de sa nageoire dorsale ; à l’ordinaire, elles reposent sur le dos. Si ce petit poisson devait tenir dressées ses épines par le seul jeu des muscles, il serait vite à bout de forces. Qu’a trouvé la nature pour lui éviter cette fatigue ? Elle procède comme nos techniciens dans des cas analogues : elle maintient dressés les piquants l’aide d’un encliquetage. Chaque épine possède deux appendices en forme de cimeterre, placés dans des gaines osseuses. On sait qu’on ne peut sortir un sabre courbe de son fourreau que si l’on en tire la poignée dans une direction déterminée ; il en est de même ici. Pour abaisser l’épine, il faut presser avec une aiguille sur l’articulation indiquée par une flèche ; le poisson remplace la pression de l’aiguille par le jeu de certains muscles.

L’image 3 représente là Dorée, dont la nageoire dorsale se prolonge en de nombreux filaments et qui, dressée, ne pourrait pas résister à la pression de l’eau sans l’aide d’une sorte d’engrenage. Au bas du premier rayon se trouve une dent qui, lorsque le poisson érige sa nageoire, s’enfonce dans une cavité correspondante du deuxième rayon, fixé de la même façon au suivant. Il peut arriver qu’une de ces dents se casse sous un effort trop violent, par exemple quand une épine doit servir d’arme de combat ou de défense. Dans ce cas, la Nature se sert d’un dispositif à friction, dont l’effet est d’autant plus intense que l’effort exercé est plus grand. De tels verrouillages fonctionnent d’une façon irréprochable chez les Balistidés (image 4) ; le premier grand rayon est tout à fait fixe quand le petit os postérieur est dressé.

Les poissons tendent l’opercule de leurs branchies par un dispositif qui rappelle celui de nos parapluies et que l’on voit sur la perche (image 5). Cela est important pour les poissons se trouvant dans une eau pauvre en oxygène. Ils peuvent continuer à respirer, même s’ils sont fatigués, car ils n’emploient aucune force musculaire pour tenir ouvertes leurs branchies.

Chez les oiseaux aussi, nous trouvons des mécanismes de fermeture ; c’est le cas pour la corneille (image 6), qui dort perchée sur les arbres. Ses griffes sont maintenues fixes autour de la branche qu’elles enserrent, jusqu’au réveil de l’oiseau.

Chez les serpents venimeux, par exemple chez la vipère (image 7), il existe un mécanisme d’une autre espèce formé par des tigelles osseuses et mobiles. Au repos, les dents venimeuses sont courbées en arrière et reposent cachées dans la chair bordant les mâchoires ; mais le reptile ouvre-t-il la gueule pour mordre, les tigelles se déplacent et maintiennent la dent dans une position verticale, lui permettant de s’introduire facilement dans la chair des victimes.

Beaucoup d’animaux marins des grands fonds sont pourvus d’organes lumineux, dont quelques-uns sont de véritables phares. C’est ainsi que la crevette Nematocelis (image 8) possède sur la tête un appareil lumineux dont le réflecteur affecte une courbe parabolique parfaite, tout comme nos phares et nos lampes à réacteur qui doivent renvoyer des rayons parallèles. Même un appareil comme le manomètre à levier de nos chaudières à vapeur a son équivalent dans la nature : c’est, par exemple, la vessie natatoire de la carpe (image 9), qui éclaterait si le poisson montait rapidement de la profondeur de l’eau, où il cherche sa nourriture, vers la surface. Afin que le poisson ne subisse aucun dommage, sa vessie natatoire est pourvue d’un mécanisme à levier très compliqué ; la pression devient-elle trop grande, une soupape s’ouvre et de l’air s’échappe, empêchant ainsi la vessie de sauter.

Il convient de mentionner encore que de nombreuses plantes, en réalisant des appareils de soutien, se montrent de véritables ingénieurs. L’image 16 représente le Géranium Robert, qui a crû contre une paroi abrupte et qui se soutient à l’aide des pédoncules de quelques-unes de ses feuilles. En outre, dans les pièces masticatrices des animaux microscopiques nommés Rotateurs (image 11) on peut reconnaître divers outils de formes très diverses : pinces, faucilles, marteaux et enclumes. Enfin, les petites algues microscopiques appelées Péridines, nageant librement dans l’eau (image 12), possèdent un appareil distributeur merveilleusement construit, grâce auquel elles obligent l’eau environnante à passer dans une direction donnée, tout comme le fait le distributeur d’eau pour la roue motrice d’une turbine. Comme cette dernière, elles se mettent à tourner, puis le choc en retour les fait s’élever et virer dans la masse liquide.

On pourrait ajouter encore quantité d’autres exemples à ceux-là ; tous nous prouvent que la Nature travaille avec une économie aussi grande que celle recherchée par l’ingénieur moderne dans ses essais de rationalisation.

par Hanns Günther, Zurich (Adapté par le Dr J . Roux, Bâle).